Journaliste à BNR, franco-néerlandaise, Sophie van Leeuwen (1977), m’offre une rencontre bouillonnante d’optimisme (juillet 2022)
De père néerlandais et de mère française, Sophie a été élevée dans les deux langues, la langue française, langue des grands parents et de la famille avec laquelle on passe ses vacances au bord du Lac Léman, près des belles montagnes majestueuses, et la langue néerlandaise, la langue parlée à la maison et à l’école. « Mes souvenirs de jeunesse du monde francophone sont liés à la Maison Descartes où nous nous rendions, mon frère aîné et moi, dès l’âge de six ans, tous les lundis pour suivre des cours de français », dit-elle avec émotion. Elle se souvient du chanteur Philippe Elan qui donnait des cours fort inspirant.
Nous nous sommes retrouvées le 14 juillet dernier, à la Résidence de France à La Haye, lors de la fête nationale pendant laquelle l’ambassadeur a fait un long discours, soulignant l’importance de la fraternité dans le tryptique de la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Luis Vassy quitte aujourd’hui son poste d’Ambassadeur de France aux Pays-Bas pour le cabinet de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.
Vous l’avez rencontré dans le cadre de votre travail …
Sophie : « Dès le début de son mandat aux Pays-Bas, l’ambassadeur m’a invitée à un déjeuner de travail avec d’autres journalistes, pour discuter des relations entre nos deux pays et plus tard je l’ai rencontré plusieurs fois, entre autres au sujet du dossier KLM-Air France.
À l’approche du Brexit, moment unique dans l’histoire, nos deux pays se sont rapprochés et l’ambassadeur de France a, depuis plusieurs années, joué un rôle important pour améliorer les relations bilatérales dans tous les domaines qui posaient problème comme la défense, l’énergie nucléaire, les finances entre autres avec la réforme du pacte de stabilité en Europe, et pour concrétiser un travail commun dans le cadre européen, bousculé et encouragé par les dernières crises (covid, guerre en Ukraine) ».
Sophie insiste sur les changements opérés des deux côtés, avec un ambassadeur de France très présent et ouvert au dialogue et les Pays-Bas se tournant, à la suite du Brexit, vers le continent et en particulier vers la France, afin de réaliser une plus grande solidarité et autonomie européenne qui se manifestent aussi depuis l’invasion russe en Ukraine.
En quoi consiste votre travail de journaliste politique ?
Vous avez été correspondante-Afrique pour Wereldomroep (la chaîne de radio mondiale) mais aussi à Bruxelles. Vous êtes maintenant correspondante politique à la radio BNR, vous faites un podcast régulier sur l’actualité.
Le côté social du politique vous intéresse particulièrement, n’est-ce pas ?
Sophie : « Arrivée à La Haye en 2018, après l’Afrique où il fallait compter avec les distances pour pouvoir rencontrer les gens mais aussi avec la censure, j’y trouve un monde très différent. Je dispose d’un studio BNR au Parlement où j’invite des politiques pour discuter autour du célèbre micro jaune. Je cours d’un ministère à l’autre pour collecter les dernières infos, j’enregistre des podcasts Newsroom Den Haag ».
Sophie dit être « tombée amoureuse de ce monde d’idées très dynamique », qu’elle voit fonctionner comme un théâtre, jour et nuit, où l’information explose en quantité et variété.
La période pré-covid puis covid fut captivante, avec la succession de crises qui touchent les finances, l’environnement, la santé. Les bouleversements opérés par le résultat des élections provinciales puis sénatoriales qui voient en 2019 Thierry Baudet et son parti Forum voor Democratie devenir le premier parti du pays et obtenir une notoriété internationale sont suivis par d’autres bouleversements provoqués par le Covid, le Brexit puis par la guerre en Ukraine, « un monde absurde mais passionnant. »
Vous avez, avec Laurens Boven, écrit Stilte op het Binnenhof (Balans uitgeverij, 2020), un commentaire de la vie politique à La Haye pendant le premier semestre de contraintes dues au coronavirus, commandé par Nieuwspoort.
Que faut-il retenir de votre analyse, après plus d’un an de recul et quels sont, selon vous, les sujets primordiaux qui demandent action et solution aux Pays-Bas ?
Pour Sophie van Leeuwen, ce reportage sur l’état de la démocratie aux Pays-Bas au début de la crise a mis en évidence l’existence d’une crise de confiance qui persiste malgré le changement de gouvernement qui, avec entre autres le parti socio-libéral D66, promettait un changement de gouvernance. Il a montré les limites d’une pratique politique démocratique de coalition qui, finalement, n’écoute que ses égéries.
Il y a un grippage de l’exercice du pouvoir tel qu’il se pratique depuis des décennies, ce qui appelle nécessairement un changement promis mais que l’on attend toujours, malgré les appels constructifs de députés comme Pieter Omtzigt. Les rapports alertant sur les situations à prendre en main sont restés lettre morte et, explique-t-elle, ce sont les gens qui, dupes de la situation, en supportent les conséquences, trop souvent désastreuses, parce que l’on tarde à intervenir, à réformer, à reconnaître les erreurs.
On pourrait peut-être faire un parallèle avec la réforme des retraites en France, dont on parle depuis des décennies et qui n’a pas encore abouti.
Les sujets de mécontentements qui attendent une réforme sont nombreux.
Les problèmes liés à la réduction des émissions d’azote et à l’exploitation du gaz de Groningue, impactant les citoyens, qu’ils soient habitants de la province de Groningue, ou paysans des diverse provinces, qui ne voient que l’insurrection pour se faire entendre, sont traités avec beaucoup de retard et provoquent l’insatisfaction.
Le marché de l’emploi est un sujet d’inquiétude – il y a un manque de main d’œuvre pour opérer la transition énergétique, pour mener à bien les soins dans les hôpitaux, l’éducation scolaire de base des enfants.
Le système fiscal et le logement requièrent des décisions politiques pour améliorer la justice sociale.
Vous avez choisi de vivre aux Pays-Bas … pour des raisons professionnelles, familiales … qu’est-ce que cela implique et apporte ?
Sophie : « Je vis à Amsterdam et jouis d’une très grande liberté. Je suis devenue libérale dans l’âme, détestant la bureaucratie. Ici on dit ce que l’on pense et sinon on ne vous écoute pas. Et pour faire carrière il faut crier, élever la voix. J’aime quand les choses marchent bien et vite. J’aime le débat vif.
Faire carrière aux Pays-Bas est d’une certaine façon plus facile, avec ma formation scolaire et universitaire néerlandaise. J’aimerais bien travailler en France, quelques années, quand les enfants seront plus grands… je rêve d’y être un jour correspondante, mais j’ai peur d’un certain conservatisme …. Est-ce un cliché ? un préjugé ? »
Oui, les Pays-Bas peuvent assurément servir de modèle de démocratie politique pour la France qui doit composer aujourd’hui avec les différences, trouver des compromis, gouverner autrement qu’avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Les Pays-Bas et la France pourraient s’inspirer mutuellement en partageant « un renouvellement de la démocratie qui soit à l’écoute de ses minorités ».
Française binationale aux Pays-Bas, riche de plurilinguisme et de pluriculturalité, citoyenne francophone, comment voyez-vous l’avenir de la francophonie et des cultures francophones aux Pays-Bas ?
Sophie : « La langue de la francophonie est celle d’une grande partie de l’Afrique, le continent de l’avenir avec sa population et ses richesses économiques et culturelles…
La formation des jeunes est essentielle et nous devrions tous participer à l’éducation des générations suivantes en leur offrant une journée de notre travail hebdomadaire par exemple – pour moi, en donnant des cours de français par exemple. Le travail à temps partiel est fort répandu aux Pays-Bas, cette proposition devrait donc être réalisable ».
Aux Pays-Bas, le politique est interpellé car les formations en sciences humaines sont dévalorisées par rapport aux formations en sciences exactes. Le nombre d’étudiants de langues modernes continue de baisser, y compris pour le néerlandais ! Représentant la plate-forme nationale pour les langues, Maaike Koffeman, enseignante à l’université de Nimègue et Amber Smits, étudiante ont donné dernièrement une interview sur ce sujet sur Radio1.
Sophie : « J’aime les langues et ai toujours voulu participer au monde que l’on construit, par le débat d’idées et en suivant l’actualité. Soyons donc optimiste et agissons !
Je suis invitée à enseigner à l’université d’Amsterdam et à y donner des cours aux étudiants de Master de journalisme, cet automne. C’est une grande joie pour moi de pouvoir partager mes aventures et mes connaissances avec la nouvelle génération ».
Faisons confiance à Sophie van Leeuwen pour que les choses changent et réparent, par l’éducation, les fractures dont les hommes et femmes sont aujourd’hui victimes.