De l’énergie au moulin… un passionné, créateur de BD

Rencontre avec Jacques Ortet

En ce 10 mai 2025, journée nationale des moulins aux Pays-Bas, j’ai rencontré Jacques Ortet au moulin « De Nachtegaal », le rossignol, dans la région fromagère de Beemster en Hollande septentrionale.

De Beemster, inscrit depuis 1999 au patrimoine mondial de l’UNESCO comme « chef-d’œuvre créatif conçu par l’homme » est aujourd’hui un polder, situé à plusieurs mètres sous le niveau de la mer. C’était un lac qui, au début du XVIIe siècle (1612-1635), a été transformé en terre asséchée à l’aide de 43 moulins ; le projet a été mené par le célèbre ingénieur et constructeur de moulins, Jan Adrienszoon Leeghwater (1575-1650) dont on fête les 450 ans cette année, partout dans la région. L’expertise de cet ingénieur était connue hors des frontières, sollicité qu’il fut pour donner conseil en Allemagne, Belgique, France, Lituanie et en Angleterre.

La terre argileuse fertile a été divisée selon un modèle géométrique qui constitue un paysage unique de parcelles carrées et en quadrants, séparées par de fins canaux, parcelles louées aux éleveurs, fermiers et riches marchands dont on voit les riches demeures le long des routes.

Ce moulin « De Nachtegaal », édifié en 1669 et magnifiquement restauré en 2013, est un moulin à moudre les grains et non un moulin à eau. Il est source d’inspiration pour Jacques Ortet dont le cinquième et nouvel album des « Aventures de Jak et Bil » a pour théâtre les Pays-Bas, narrant « L’intrigue du moulin de Nachtegaal ».

  • Vous êtes auteur de BD (bandes dessinées) qui parlent d’aventures dans des pays que vous connaissez bien pour y avoir vécu plusieurs années. D’où vous vient cette idée ?

Jacques : « En fait, depuis l’âge de douze ans, je suis fasciné par Hergé (1907-1983), créateur des aventures de Tintin, dont l’énergie, le dynamisme des histoires m’ont donné l’envie de faire comme lui et de créer des BD. J’aime aussi beaucoup la création de Maurice Leblanc (1864-1941), le personnage d’Arsène Lupin, « gentleman-cambrioleur » et ses aventures extraordinaires [23 volumes de romans d’aventures, nouvelles et pièces de théâtre] dans lesquelles énigmes et rebondissements me parlent/plaisent. J’ai aussi été beaucoup influencé par Marcel Pagnol dont le style simple et expressif donne à ses personnages un caractère très humain et aux dialogues impétueux, un côté tellement naturel.

Ma vie professionnelle m’a conduit à vivre dans de nombreux pays, avec une expertise en exploration et production du pétrole. Lors de mon dernier séjour à l’étranger, au Kazakhstan, j’ai commencé à écrire les aventures de Jak et Bil, centrées sur le trésor de Gengis Khan, créant ma première bande dessinée, dessins et textes me permettant de ‘mémoriser mes découvertes, impressions, défis, aventures et expériences de toutes sortes’ et de transmettre tout un tas d’éléments de la culture du pays. Ces aventures de Jak et Bil se poursuivent au Gabon, en Écosse, en Oman et aux Pays-Bas. Ce sont déjà cinq albums de BD et les suivants, sur Bornéo (j’ai vécu dans le Sultanat de Brunei Darussalam, situé sur l’île de Bornéo) puis sur Paris et la France sont en préparation. »

  • D’où vous vient ce talent d’artiste ?

Jacques : « J’aime écrire des histoires autour d’une intrigue (un trésor à découvrir, un secret, mystère, une énigme ou intrigue), mettre en récit les aventures de quelqu’un qui voyage de pays en pays, comme je l’ai fait. En outre, j’ai un bon coup de crayon pour dessiner personnages et paysages et exprimer ce que je veux. »

  • Vous êtes entouré d’une équipe pour la confection de chaque album. Comment procédez-vous ?

Jacques : « J’écris le scenario, toute l’histoire, puis je partage le texte en séquences pour entrer dans les bulles ; j’esquisse le dessin de tous les plans que reprendront deux illustratrices pour les mettre au propre.

Mes deux enfants, Julie qui fait un énorme travail de coordination et d’assemblage et Guillaume qui gère le site ouèbe ainsi que Dinara qui a été Directrice de l’Alliance française à Astana, capitale du Kazakhstan, son pays, sont mes précieux soutiens, artistique, technique et administratif. Vous les retrouverez d’ailleurs dans chacune de mes BD, incognito ou explicitement.

À la création de chaque album, écrit en français, traduit en anglais et dans la langue du pays concerné par les aventures de Jak et Bil, participent des artistes et traducteurs de divers pays. La BD sur le Kazakhstan par exemple est aussi traduite en russe. »

  • Dans les aventures de Jak et Bil, racontez-vous un peu les vôtres ? Êtes-vous Jak ? Êtes-vous Bil ?

Jacques : « Oui, les BD contiennent beaucoup d’éléments qui renvoient à ce que j’ai vécu et une réflexion sur l’énergie et la biodiversité, au cœur de ma responsabilité professionnelle. Et, oui, je suis un peu de Jak, le Jacques, sérieux, qui voyage, regarde et questionne et je suis un peu de Bil, cet oiseau qui, faussement naïf, parle et critique, qui, plein de tendresse et d’humour, fait de bonnes bêtises et s’exprime d’un tel naturel, à la Pagnol. Lorsqu’il découvre le Trésor de Gengis Khan, il s’exclame : ‘par mille bartavelles pagnolesques’… un clin d’œil à La gloire de mon père. »

  • Dans ce nouvel album, nous sommes aux Pays-Bas, avec ‘l’intrigue du moulin De Nachtegaal’. Pourquoi ce moulin ?

Jacques : « Je suis résident aux Pays-Bas depuis trente ans, pour avoir travaillé dans l’énergie et lorsque j’ai voulu faire une BD sur mon pays d’accueil, j’ai choisi symboliquement le moulin pour écrire mon histoire. Et le choix de ce moulin s’est imposé lorsque qu’un ancien collègue et ami m’a fait part de son activité de bénévole très engagé pour le moulin de Middenbeemster. »

Crédit video Hélène Pichon

  • Sur la couverture de l’album, les images renvoient à des stéréotypes de la Hollande (deux provinces des Pays-Bas) : le moulin, les tulipes, la poupée en costume et coiffe régionale…

Pourtant il y a un élément didactique très prononcé dans l’album… comme on peut le lire en p. 31 : « En réalité toutes les sources d’énergie, peu ou non carbonées, sont bonnes, inclus le nucléaire… Il n’y a pas une solution idéale pour le monde entier mais des solutions adaptées à chaque pays selon leur taille, relief, climat et autres spécificités. Et surtout il faut encourager le développement de nouvelles technologies dans ce domaine. »

Est-ce votre expérience professionnelle ou votre engagement de citoyen du monde qui explique que la question de l’énergie et de la transition énergétique soit si bien traitée dans la BD ?

Jacques : « Il y a avant tout un désir de partager les savoirs accumulés au cours de mes expériences professionnelles et la conviction que la transition énergétique doit préserver la biodiversité. Il faut contrer les discours ambigus de certains media et certains partis politiques. Retraité, je poursuis le boulot et suis chargé d’accomplir une mission, d’information, d’explication pour préserver la nature et les animaux et faire les bons choix énergétiques. »

  • Vous faites œuvre éducative, en somme. Et des Pays-Bas, vous avez retenu des éléments essentiels à transmettre, de géographie (la création de polder, les digues et les terres sous le niveau de la mer etc.), d’économie agricole (‘l’autre pays du fromage’), d’histoire, d’art (Musées et grands peintres, Mauritshuis, Vermeer, van Gogh, panorama Mesdag …), d’habitudes culinaires ; les moyens de transports vertueux pour la protection de la planète que sont le vélo, le tram et le bus électrique ne sont pas oubliés.

Français aux Pays-Bas, vous résidez à la Haye, pourquoi ce choix avec votre expérience de citoyen du monde ? Pouvez-vous y réaliser votre passion, aujourd’hui et demain ?

Jacques : « Je n’ai jamais autant apprécié la France que depuis que je voyage mais je suis bien aux Pays-Bas et je compte bien rester dans ce pays où j’ai de nombreux amis, Français, Néerlandais et autres. Originaire de Lille, j’y retrouve des éléments de la culture flamande et j’aime le pragmatisme et la recherche de consensus, caractéristiques des comportements néerlandais, tant dans le monde professionnel que dans la vie privée. »

Merci, Jacques, pour cet entretien qui m’a permis de découvrir un passionné, convaincu de sa responsabilité planétaire et de la nécessité de rechercher et de trouver des consensus et qui, après sa vie professionnelle, poursuit sa mission avec énergie.

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