Créatrice de tapisserie de haute lice, talentueuse et passionnée

Crédit photo en-tête Dagmara Bojenko

Entretien avec Mélanie Cros, artiste licière

Artiste licière, créatrice de tapisserie de haute lice, j’ai pu, Mélanie, admirer quelques-unes de vos œuvres, dont un magnifique tapis en forme de cercle de grand diamètre, dans les espaces de l’Alliance française La Haye, il y a quelques semaines, en juin 2025.

  • Pouvez-vous m’expliquer ce qu’est une artiste licière ?

Mélanie : « Une artiste licière réalise une tapisserie sur un métier à tisser vertical (haute lice) ou horizontal (basse lisse[1]). Une lice est une petite cordelette de coton formant un anneau, fixée sur un fil sur deux et que l’on actionne d’une main pour obtenir le croisement des fils nécessaire à l’exécution du tissage. Pour tisser en haute lice, je suis assise derrière le métier, les lices sont placées au-dessus de ma tête et je tisse à contre-jour sur l’envers de la tapisserie en contrôlant l’endroit au moyen d’un miroir placé devant le métier. Je place sur le modèle à exécuter un papier transparent sur lequel je marque des points de repère que je reporte sur les fils de chaîne, à l’aide d’un petit bâton encré, afin de pouvoir reproduire le modèle sur la trame. (Voir) »

Les métiers à tisser dans l’atelier de Mélanie (Crédit photo Dagmara Bojenko)

Le petit bâton encré et les points de repère (Crédit photo Mélanie Cros)

  • Comment êtes-vous venue à la tapisserie et quelle est votre formation ?

Mélanie : « Toute petite, j’ai appris à tenir du fil et une aiguille, à aimer le textile, grâce à ma grand-mère. C’est elle aussi qui m’a incitée et encouragée à passer le concours pour entrer à la Manufacture des Gobelins, la meilleure école du monde pour la tapisserie de haute lice (à Aubusson, on forme à la tapisserie de basse lisse). J’ai par ailleurs suivi des cours de dessin depuis l’enfance.

 J’ai passé avec succès toutes les épreuves de qualification pour entrer à la Manufacture des Gobelins qui forme des artisans d’art capables de réaliser une tapisserie de haute lice à partir de l’œuvre d’un peintre ou autre artiste. Pour ce faire, il faut savoir agrandir l’œuvre proposée à la copie, monter le métier à tisser puis effectuer le tissage. Je suis sortie première au concours Technicien d’Art du ministère de la Culture après quatre ans de formation et suis ensuite restée quatre années dans l’atelier de haute lice Gobelins (quatre ans de formation puis quatre ans de travail en atelier) !

La Manufacture des Gobelins, fondée à Paris en 1662 par Colbert qui y a regroupé les ateliers parisiens (peintres, tapissiers, orfèvres, fondeurs, graveurs et ébénistes), est aujourd’hui partie du Mobilier national dont la mission est entre autres de « perpétuer et transmettre des savoir-faire exceptionnels ». Depuis 1826, la Manufacture des Gobelins utilise exclusivement la technique de haute lice. À Paris, sur le site de la Manufacture des Gobelins, se trouvent aussi douze métiers horizontaux de la Manufacture nationale de Beauvais, créée à Beauvais en 1664 et détruite par un incendie en 1940 ; celle-ci, partie du Mobilier National, réalise de la tapisserie de basse lisse à Paris sur les douze métiers et à Beauvais où dix métiers ont depuis 1989, regagné la ville. »

  • Vous êtes Française aux Pays-Bas depuis une année et vous exposez déjà à La Haye. Quel parcours avez-vous suivi depuis les Gobelins ?

Mélanie : « Après huit ans aux Gobelins, à travailler dans la même technique, j’ai eu envie de partir pour créer et sortir de la copie d’artistes. Des rencontres opportunes m’ont permis de me lancer dans la création personnelle et de donner des cours à Paris. Ce fut une ouverture extraordinaire. À cela s’ajoute notre départ en famille pour les Émirats. Ce nouveau cadre de vie à Abou-Dabi a libéré mon esprit créatif. »

Crédit photo Mélanie Cros
  • Le titre de votre exposition à l’Alliance française La Haye, Lumière d’Orient, est-il en lien avec cette libération ?

Mélanie : « Mon sens de la création artistique a été stimulé par les couleurs, turquoise de la mer, blanche des maisons, dorée de l’atmosphère, dans cette région du Golfe persique. Ainsi est née la série Lumière d’Orient qui rend compte de mon carnet de voyage. Ma rencontre avec une femme émirienne avec qui j’ai pu tisser et échanger sur nos techniques a aussi été décisive dans mon évolution. »

Le turquoise… (Crédit photo Mélanie Cros)
  • Vous êtes maintenant Française aux Pays-Bas. Qu’est-ce que cela signifie pour votre quotidien d’artiste ? Les Pays-Bas vous permettent-ils de réaliser votre passion ?

Mélanie : « Aux Pays-Bas, la mer, l’eau, la lumière, l’espace, le caractère paisible de la vie, le soin apporté à l’habitat et à l’environnement, tout cela me touche et m’apaise. J’aime la beauté et la propreté du cadre de vie, le respect des gens et des choses. La vie y est très agréable pour toute la famille.

En outre, je suis fière de pouvoir donner des cours depuis le mois de mars 2025, de pouvoir faire rayonner mon métier d’art, rare et sa technique spéciale.

Dès la rentrée scolaire prochaine, j’initierai les enfants, élèves du Lycée Vincent van Gogh, qui le désirent aux secrets de la tapisserie, après leurs heures de classe. »

  • Vous êtes en effet devenue formatrice, depuis « Paris Ateliers ». Il ne vous suffit pas de créer, il vous faut aussi transmettre.

Mélanie : « J’ai moi-même fait un stage, à ma sortie des Gobelins, qui m’a permis de dépasser le cadre traditionnel de la tapisserie classique, créant des textures nouvelles, avec du relief, de trouver mon style et de l’assumer. J’ai donné des cours à Paris, dans les Émirats, et maintenant à La Haye, pour débutants et avancés. Pour donner suite à de nombreuses demandes, je continue à organiser des stages à Paris, à la demande de mes cursistes, ce qui est très valorisant ! » 

Votre travail connaît reconnaissance, puisque vous êtes lauréate de plusieurs distinctions (Médaille de Vermeil de l’Académie des Arts Sciences et Lettres 2022, Concours de Technicien d’art du ministère de la Culture, Salon des arts plastiques de La Rochelle 2021, Journées européennes des métiers d’art 2023). En outre, vos œuvres ont été exposées non seulement en France à La Rochelle, mais aussi en Australie et dans les Émirats, à l’Exposition Universelle de Dubaï en 2022, en Angleterre, au Canada, en Ukraine, et dernièrement en France, au Carousel du Louvre ou dans le cadre des Jeux Olympiques en 2024. Et en 2025 à La Haye.

  • Que souhaitez-vous de plus ?

Mélanie : « Après mon travail à la Manufacture des Gobelins, j’ai souhaité faire, dans le cadre d’un diplôme de l’EPHE, une recherche en histoire de l’art à partir des archives d’un atelier privé de tapisserie à Paris au XVIIe siècle. Ce travail est bien avancé mais pas encore achevé, j’aimerais le terminer.

Je suis confiante et consciente du chemin parcouru et de la chance que j’ai de pouvoir transmettre ma passion et mon savoir-faire à d’autres passionnés de tapisserie. Mais je suis aussi impatiente de faire connaitre mes œuvres et cet art noble qui était tombé dans l’oubli et a souvent une connotation de « vieillot ». J’aimerais trouver des galeristes qui exposent et vendent mes créations. »

Première alliance de la broderie avec la tapisserie dans le travail de Mélanie, cette broderie de perle au crochet de Lunéville et à l’aiguille sera au centre de sa dernière tapisserie.

Merci Mélanie pour cette visite de votre atelier qui me permet de vous voir artiste au travail, merci pour cet échange très enrichissant qui me permet de découvrir une jeune femme, mère de famille, créatrice, ambitieuse et réaliste, de qui émane une douceur contagieuse. Je vous souhaite de trouver un ou une galeriste, aux Pays-Bas, très prochainement.


[1] On trouve les deux orthographes, lice et lisse.

Posted in Abou Dabi, Art, création artistique, Entretien, Exposition, Haute lice, Lumière d'Orient, Manufacture des Gobelins, Manufacture nationale de Beauvais, Mélanie Cros, Septembre, Tapisserie d'art.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *