Tant aux Pays-Bas qu’en France et face à des pratiques différentes dans les deux sociétés, la question de la fin de vie est au centre d’un débat sociétal et est prise comme enjeu du débat politique.
Comment accompagner la fin de vie ? Faut-il faire évoluer la loi ?
J’ai eu sur ce sujet (du choix) de la fin de vie et sur son expérience de l’accompagnement des personnes en fin de vie, un long et intense échange avec Florence Guibert-Buiron, une Française, diplômée de la faculté de médecine de Dijon, médecin généraliste à Dordrecht depuis vingt-sept ans.
De tout notre entretien se dégage une grande humanité, l’expertise du médecin dont la vocation comprend l’aide à mourir dans la dignité.
Officiellement médecin conseil et consultante en matière d’euthanasie et de soins palliatifs pour les régions de Dordrecht et de Rotterdam, elle accompagne et conseille les médecins confrontés aux difficultés de mettre en place des soins palliatifs et elle assure la consultation pour les médecins confrontés aux demandes d’euthanasie ou de suicide assisté. Son expertise lui permet de jouer un rôle important pour ses collègues médecins dans l’exercice de leur profession mais aussi de participer à la formation des étudiants en médecine de l’université Erasmus de Rotterdam pour laquelle elle est accréditée comme maitre de stage.
Emmanuel Macron fait de cette question l’objet de la grande réforme sociétale de son deuxième quinquennat.
La Convention citoyenne sur la fin de vie
Il a lancé l’idée d’une convention citoyenne qui, organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le modèle de la Convention pour le climat (2019-2020), réunira dès le 9 décembre 2022, 150 citoyennes et citoyens français – aux profils et aux histoires diverses – qui débattront de savoir si « le cadre […] de l’accompagnement de la fin de vie est […] adapté aux différentes situations rencontrées [et si] d’éventuels changements devraient être introduits. »
Neuf sessions de trois jours de travail sont prévues pour aboutir à des recommandations qui seront faites dès le 19 mars 2023 au gouvernement. Celui-ci pourra alors proposer ou non un changement de la loi Claeys-Leonetti (2005) relative aux droits des patients en fin de vie, qui permet de « laisser mourir » et interdit l’acharnement thérapeutique, en légiférant sur l’accompagnement médical de la fin de vie et éventuellement sur une « aide active à mourir ». Le Comité consultatif national d’éthique a jugé pour sa part qu’une « aide active à mourir » pourrait s’appliquer en France, à certaines conditions très strictes.
Pour « assurer le suivi méthodologique du dispositif et veiller aux principes de transparence et de neutralité », le CESE a désigné un Comité de Gouvernance (des membres du CESE, du Comité Consultatif National d’Éthique, du Centre National des Soins Palliatifs et de la Fin de Vie, une philosophe, des experts de la participation citoyenne et des citoyens ayant participé à la Convention citoyenne sur le climat) qui se réunit chaque semaine jusqu’à la fin du mois de mars 2023.
Le passage vers la mort
Comme Emmanuel Macron l’a dit au pape François, lors de leur rencontre le 24 octobre dernier : « la mort, c’est un moment de vie, pas un acte technique ».
Pour Florence Guibert-Buiron, le passage vers la mort est d’une grande importance humaine et l’humanité doit être déployée jusqu’au bout, soutenue par la relation médecin-patient.
Florence : « Une nation éduquée, moderne, doit aborder le sujet de la fin de vie avec sa population.
Pourquoi n’y a-t-il pas encore eu d’écoute du politique pour le débat social sur la fin de vie en France ?
Et pourquoi n’entendons-nous pas les médecins ?
Cette Convention de 150 personnes, est-ce bien représentatif de la pensée de toute la société française ? Pourquoi les recommandations seront-elles faites à l’Exécutif et qu’en fera-t-il ? »
Si « Constitutionnellement, la fin de vie n’est pas un sujet de referendum » comme l’aurait dit le Président, pour peut-être contrecarrer les rumeurs de referendum en ce domaine, la procédure choisie de réunir une Convention n’est-elle pas une manière biaisée de procéder à un referendum qui ne dit pas son nom et de donner à l’Exécutif le pouvoir de statuer sur la législation concernant la fin de vie ? Or, dit Florence, s’il est nécessaire d’avoir un encadrement avec des critères bien définis pour l’exercice du choix de la façon dont on veut mourir, « ce n’est pas au politique de décider de la vie de quelqu’un ».
La loi dit ce qui est permis et ce qui est interdit mais ne peut en rien répondre à la singularité or chaque fin de vie est unique, chaque personne est unique et devrait avoir le choix de la façon dont elle veut mourir, de mort naturelle ou avec l’aide du médecin.
Si aux Pays-Bas, explique Florence, on a parlé très tôt d’euthanasie avant de développer les bases des soins palliatifs, – ce que l’on rectifie aujourd’hui avec l’accompagnement des médecins qui proposent à tous des soins palliatifs –, ce qu’il faut considérer, c’est que l’on a ici le choix sur la façon de quitter la vie. Il y a la possibilité de sédation palliative que le médecin peut mettre en place sous certaines conditions bien définies et en accord avec la personne ; il y a aussi la possibilité d’euthanasie active (le médecin administre à la personne un produit qui met fin à une souffrance insupportable pour elle et sans qu’il y ait espoir d’une amélioration) ou de suicide assisté (la personne prend elle-même la potion que lui fournit le médecin qui l’aide en cas de non résultat) ; ces deux dernières pratiques sont très encadrées par la loi de 2002 et demandent l’implication de plusieurs médecins pour répondre à la demande de la personne, demande qui doit être faite explicitement et de façon réitérée par la personne elle-même, en toute connaissance de cause et indépendamment de toute pression.
Florence : « Tout le monde est concerné par la discussion sur la fin de vie, qui doit pouvoir, pour chacun, être engagée par le médecin avec la personne concernée, personne qui doit être impliquée dans le choix des (non)traitements, des soins palliatifs et sur sa façon de quitter la vie, comme c’est le cas actuellement aux Pays-Bas. »
Structures et législations différentes pour accompagner la vie et préparer à la mort
Les Français aux Pays-Bas ne savent pas ce que la loi de 2002 sur l’euthanasie signifie pour les personnes, ils critiquent souvent le système de santé néerlandais et vivent parfois avec difficulté la rencontre avec le médecin néerlandais …
Florence : « Le cadre législatif néerlandais émane d’un besoin social ».
Le droit à bien mourir (euthanasie) a en effet fait l’objet d’une acceptation de plus en plus large dans les années 80 du siècle dernier, ce que la justice a peu à peu reconnu ; dans les années 90, la discussion sociale porte sur le droit à l’euthanasie pour raison de souffrance intense, psychique ou physique, indépendamment de la maladie ; « depuis le début du XXIe siècle, la question s’étend aux personnes qui disent leur vie « terminée », cas de figure qui reste fort discuté et qui est refusé par la législation actuelle, mais aussi aux patients psychiatriques en souffrance dont la maladie est « incurable », et aux personnes souffrant de démences séniles ».
« L’organisation du système de santé aux Pays-Bas est très efficace, tant dans les moyens que dans l’organisation des soins avec une médecine de spécialisation uniquement présente à l’hôpital et une médecine générale de première ligne qui fait le tri des besoins, des degrés d’urgence. Il y a en France une perte de talents (la médecine de spécialité en ville, la non-coordination des soins par le généraliste …), d’argent et d’efficacité parce qu’on a, au siècle dernier, investi dans la structure hospitalière plus que dans la médecine de proximité.
Bien que la condition du médecin généraliste semble être différente en France et aux Pays-Bas tant au niveau des revenus que de la considération sociale, le travail d’accompagnement de toute personne reste le même.
En France le système de soins, plus paternaliste, laisse souvent les patients se débrouiller seuls pour gérer le suivi de leur maladie ; c’est avant tout un système curatif proposant le plus de traitements possible qui prolongent une situation même si elle est devenue sans issue, quand les « curatifs » ne sont plus efficaces. La mise en place de soins palliatifs pour tous et de la sédation est par ailleurs très compliquée et chronophage quand pour pratiquer la sédation il faut en France l’accord de trois médecins alors qu’aux Pays-Bas, le médecin en accord avec le patient et sa famille peut décider et pratiquer la sédation pour un passage vers la mort dans la dignité et la responsabilité ».
Envisager sa fin de vie, c’est penser sa finitude, c’est, en cas de maladie, suivre un parcours relationnel dans la durée, construire une relation de confiance avec le médecin, c’est être responsable jusqu’au bout dans toute son humanité, capable d’être un vivant jusqu’au bout.
De culture et de formation professionnelle françaises, Florence Guibert-Buiron exerce en néerlandais et écoute ses patients – or, on sait combien il est important de pouvoir s’exprimer dans sa langue pour parler de son corps, de sa santé, auprès d’une population urbaine très mêlée ; elle est là, attentive pour les plus faibles et les plus fragiles, ceux qui viennent d’ailleurs et qui ont besoin d’accompagnement particulier.
La générosité de cœur est inhérente à la vocation du médecin et Florence confie : « Je suis confiante qu’il y aura toujours quelqu’un qui ouvrira sa porte à une demande de consultation » et en cas de besoin, « il faut pouvoir voir en dehors du cadre et savoir tendre la main, même si les règles sont les règles ».
Légiférer sur «un « droit à mourir » ? La société française en a exprimé un besoin depuis le 6 avril 1978, lorsque le sénateur Henri Caillavet déposait la première « proposition de loi relative au droit de vivre sa mort », rejetée le 7 mai 1980 par le Sénat, à une voix. Aujourd’hui le débat est vif en France. Nous pouvons nous, Français aux Pays-Bas, avec l’expérience et l’expertise de professionnels comme Florence Guibert-Buiron, aider à « construire la fin de vie dans le respect de ce qui est fondamental pour chacun », alliant le social, l’éthique et le spirituel.