La communauté du Chat noir animée par une autrice, libraire française professionnelle à Amsterdam

Crédit photo Pauline Walzac

Entretien avec Tiphaine Hubert, libraire de livres d’occasion, en langue française

Depuis six mois (21 septembre 2024), il existe une librairie francophone de livres d’occasion à Amsterdam. Elle est située dans un beau local, sur le Rijnstraat, tout près du Amstel qui la sépare du quartier branché De Pijp.

Tiphaine Hubert m’accueille dans la librairie du chat noir, accepte mon don de livres et me parle du projet qu’elle réalise.

  • L’enseigne du « Chat noir » est bien visible dans la rue. D’où vient ce nom de « Librairie du Chat noir » ?

Tiphaine : « C’est mon chat Tara, disparue aujourd’hui, qui m’a inspiré ce nom. Celui-ci fait aussi écho au chat compagnon de la sorcière, icône féministe contemporaine, au cabaret du chat noir parisien et puis à tous ces chats présents à Amsterdam pour éloigner les souris. Il est en outre facile à retenir pour mes clients néerlandais.

J’ai confié l’esthétique de la boutique à deux femmes designers qui ont pensé l’identité graphique, du logo à la scénographie du magasin et celle du site internet. On y retrouve le chat noir et la répétition du motif carré. Ainsi les livres sont dans des cartons cubiques dont la taille et la résistance ont été bien pensées. Elles ne sont pas les seules artistes à faire partie de la communauté du chat noir : en effet, la vaisselle a été créé par une illustratrice française. »

  • Quelle est l’histoire de cette librairie qui a six mois d’existence ?

Tiphaine : « Après des études de lettres modernes et divers types d’emplois, je me suis, vers vingt-cinq ans, réorientée pour travailler dans les métiers du livre et suis, depuis 2016, diplômée de l’Institut National de Formation des Libraires (aujourd’hui, École de la librairie). J’ai travaillé dans des librairies parisiennes et ici à Amsterdam. En tant que libraire je suis spécialisée en bande dessinée.

En 2023, je me suis dit qu’il était temps que j’ouvre ma propre boutique. Le livre d’occasion s’est imposé à moi, notamment pour répondre à des offres de dons de livres. C’est un projet qui est aussi en accord avec les difficultés que nous affrontons, en matière d’écologie ou d’inflation. Je souhaitais créer un lieu où tout le monde pourrait se retrouver et avoir accès à la lecture.

J’ai donc récolté des livres d’occasion et lorsque j’ai pu louer ce local je disposais déjà d’un stock de 2500 livres, de quoi alimenter les demandes d’un large public, pas simplement français et francophone mais aussi francophile. Nombreux sont aussi les Néerlandais heureux de trouver dans la librairie des livres en français pour un prix modique.

La librairie est une boutique où l’on peut consulter et acheter les livres mais elle est aussi une mine d’or en ligne puisque l’on peut acheter les ouvrages mis en en ligne – c’est un énorme travail d’entrer les livres sur le site ; une fois commandés et payés, les livres sont à disposition à la librairie ou peuvent être envoyés par la poste.

Grâce aux dons de livres qui constituent la base de l’entreprise, la librairie du chat noir est une véritable entreprise d’économie circulaire et locale.

J’ai bien entendu fait un emprunt pour monter cette structure mais au bout de six mois d’existence, je peux déjà couvrir les charges fixes de la librairie, dont le site internet, élément essentiel de l’ensemble. Il y a donc lieu de se réjouir et d’espérer le succès escompté pour le projet de librairie, qui doit répondre aux besoins de la clientèle. Tout reste à faire, j’ai cinq ans devant moi pour arriver à l’équilibre. »

  • Vous êtes libraire de profession mais votre activité ne se limite pas à la vente de livres…

Tiphaine : « Toute une communauté d’artistes et de bénévoles gravite autour de la librairie. J’anime plusieurs clubs de lecture (Bookclub) et il y a des ateliers d’écriture, des tables rondes auxquels participer. Il existe aussi des groupes de tricot, crochet, broderie, tous occasion de rencontre, d’échange et de création autour de livres. Enfants et adultes se voient proposer des activités de création adaptées, avec un programme qui change tous les mois. Le lieu est ouvert aux propositions et souhaits des clients.

L’organisation d’événements est essentielle pour faire vivre la librairie autour des auteurs et des lecteurs. J’ai l’expérience des salons du livre, des festivals, et ma mission est de promouvoir la lecture, les auteurs, la culture, pour tous les publics.

Pour passer du temps agréablement dans la boutique et/ou prochainement dans le jardin, à lire ou échanger, il y a le salon de thé avec des boissons et des gourmandises de producteurs français locaux. »

  • Libraire de proximité, comment vous êtes-vous insérée dans ce milieu urbain néerlandais, même s’il faut reconnaitre l’aspect international de la vie à Amsterdam ?

Tiphaine : « J’ai été très bien accueillie par les commerçants du quartier. La boutique est très belle et appréciée comme telle, tout comme son inscription dans une politique de développement durable, sa démarche écologique.

Le système de dons est vu comme modèle et la librairie avec ses nombreuses activités s’inscrit dans le quartier avec bonheur et avec le soutien solidaire des commerçants voisins. C’est une grande chance de s’insérer dans un voisinage où il y a de la vie, partagée et encouragée. J’ai d’ailleurs de plus en plus de clients néerlandais. »

  • Vous êtes aussi autrice et éditrice…

Tiphaine : « Oui, j’ai écrit plusieurs ouvrages. Mon roman « Une autre saison » est paru dans l’édition classique. J’ai ensuite auto-édité un recueil de nouvelles ainsi que deux livres, illustrés par By Lady Fox. J’anime en ce nom des ateliers d’écriture féministe.

Pour l’auto-édition, je suis passée par des campagnes de financement participatif rémunérant l’écriture, la mise en forme et la publication. Ces fantastiques aventures me donnent des envies de maison d’édition. Mais il y a suffisamment de travail à la librairie comme ça, dans quelques années peut-être… »

  • Française aux Pays-Bas…

Tiphaine : « J’apprends le néerlandais avec notre fils qui sera scolarisé dans le système néerlandais et mon intégration dans le pays où je vis et travaille se fait au rythme de sa croissance et du développement de mon entreprise. »

Merci Tiphaine pour ce partage d’expérience et de vue sur l’avenir. Je vous souhaite de pouvoir continuer à proposer à une communauté de plus en plus large et diverse des évènements enrichissants qui font vivre la lecture et l’écriture en français, stimulant la création artistique. Je vous félicite pour votre esprit d’entreprise et pour la mise en œuvre de vos idées et intuitions mais aussi pour votre reconnaissance envers les donateurs de livres et de financement participatif qui en sont la pierre angulaire.

Posted in Amsterdam, Économie circulaire, Entretien, Financement participatif, Librairie du Chat noir, Librairie française, Livres d'occasion, Mai, Non classé, Tiphaine Hubert.

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