Actualité de la vie politique aux Pays-Bas
Le débat sur la démocratie et sur la constitution est tout comme en France actuellement, bien présent aux Pays-Bas dont la vie parlementaire doit gérer les suites des crises sociopolitiques de ces dernières années.
Si, en France, pour Philippe Bas, « il faut se garder de faire porter à nos institutions la responsabilité des dysfonctionnements qui relèvent du système politique », pour Olivier Mongin « un pouvoir politique est légitime s’il est reconnu digne de confiance, si l’on peut croire en lui ». Aux Pays-Bas, Pieter Omtzigt (1974), député depuis 2003 et excellent connaisseur des dossiers est vu comme modèle dans l’exercice de son mandat de représentant du peuple pour contrôler le Gouvernement et voter les lois ; il fait des propositions concrètes pour réparer, pour améliorer, pour restaurer l’État de droit. C’est pour lui une mission. En 2022, il a reçu le Prix Thorbecke, attribué (une année sur deux, depuis 1992), à un parlementaire, choisi par un jury pour la qualité de sa rhétorique et son éloquence politique et en 2023 il prononce la Conférence Thorbecke dont l’objet est d’étudier la qualité de la gouvernance d’État.
Johan Rudolph Thorbecke, vu aux Pays-Bas comme le plus grand homme d’État du XIXe siècle, inspiré par Montesquieu, a mené le débat sur la constitution pendant dix ans avant d’être chargé par le roi Willem II de présider la commission chargée de la réforme constitutionnelle de 1848. Il est considéré comme le fondateur de la démocratie parlementaire néerlandaise, ses idées libérales étant reprises dans la constitution de 1848 qui retire du pouvoir au Roi en instaurant la responsabilité ministérielle politique devant le Parlement et le suffrage direct pour les élections tant parlementaires que municipales et régionales. Thorbecke, ministre de l’Intérieur, a été chef de gouvernement à trois reprises entre 1849 et 1872. Il a marqué la politique, la gouvernance d’État et le monde scientifique. C’est sous son ministère et conformément à ses idées que la loi sur l’enseignement secondaire a été adoptée en 1863, créant les écoles secondaires de la Bourgeoisie (HBS) avec un enseignement de trois langues modernes obligatoires (français, allemand et anglais), d’abord seulement pour garçons puis acceptant les filles ; c’est aussi grâce à l’intervention de Thorbecke, cinq jours avant sa mort que Aletta Jacobs a été acceptée pour faire des études de médecine à l’université de Groningue, une première.
Pieter Omtzigt choisira de tenir la Conférence Thorbecke le 14 avril 2023 à Zwolle où Thorbecke est né en 1798, loin de la capitale politique de La Haye où celui-ci est mort en 1872, s’interrogeant à l’occasion des 175 ans de la Constitution sur l’opportunité d’un nouveau contrat social, sujet sur lequel il a publié un ouvrage Een nieuw sociaal contract (Prometheus, 2021).
Omtzigt montre, avec des exemples très probants, que le Gouvernement est peu à peu parvenu à faire peu de cas de la Constitution d’une part et que d’autre part, il y a très peu d’opposition ou de réaction face à cette pratique. Il trouve qu’il est temps d’introduire ouverture et contrôle, transparence dans le magnifique système constitutionnel et de gouvernance d’État mis en place par Thorbecke, un système qui a été élaboré après de longues réflexions et discussions dans lesquelles la société avait sa part, et dont le fonctionnement est aujourd’hui grippé, afin de rétablir la démocratie.
Il est, selon Omtzigt, indispensable que les Pays-Bas aient une meilleure gouvernance et comme en 1848, une réorganisation de l’État s’impose afin que la pratique gouvernementale soit conforme au mode convenu d’organisation de l’État, qu’elle soit effectivement redevable de sa responsabilité et qu’elle applique les lois.
Omtzigt constate que la constitution et l’ordre qu’elle définit sont vidés de leur sens à cause de décisions qui sont prises en non conformité avec les lois et la constitution, le Gouvernement opérant en évitant, contournant le contrôle du Parlement. La gouvernance d’État pose alors problème.
Pour y remédier, Omtzigt propose que 1/ les décisions ne soient prises qu’au Parlement (et non dans des réunions ad hoc ou sous la pression de lobbyistes), 2/ que les dépenses ne puissent être engagées que sur autorisation du Parlement (et non sous le coup de décret de « cas d’exception »), 3/ qu’il soit impossible de n’appliquer qu’une partie de la loi (ce qui est voté par le Parlement doit être exécuté en totalité), 4/ qu’il soit légiféré sur ce que le Gouvernement doit transmettre au Parlement et sur ce qui peut ne pas l’être pour cause de raison d’État (pour éviter que les documents utiles au Parlement ne soient conservés sous le boisseau par les autorités gouvernementales et qu’ils soient communiqués dans les délais prévus par la loi), 5/ que soit créée une Cour constitutionnelle qui protège les droits de la Constitution (il n’y a pas de droit national qui assure une protection de la Constitution).
Au député Omtzigt la responsabilité de faire des propositions, affirme-t-il, mais il est, pour lui, indispensable que les citoyens soient des citoyens actifs, à suivre et comprendre ce qui se passe, à intervenir dans les débats de société pour maintenir une démocratie parlementaire saine, inspirée par sa constitution. Le marché est pour ainsi dire entre nos mains et Omtzigt de citer Thorbecke : « La constitution ne doit pas être une simple forme, elle doit être une force nationale ». Et de commenter : « Une bonne gouvernance est la condition d’une bonne politique. Or, théorie et pratique se sont de plus en plus éloignées l’une de l’autre. Le Gouvernement ne suit pas les règles. Et il n’y a pas de système pour corriger cette pratique non conforme à la règle ».