Crédit photo : Sophie Valla
Entretien avec Sophie Valla
- Française aux Pays-Bas, vous dirigez un cabinet d’architectes. Qu’est-ce qui vous a conduit à (venir) travailler aux Pays-Bas ? À Amsterdam…
Sophie Valla: « Après mes études d’architecture à Paris, j’ai souhaité faire un stage à l’étranger. Pensant aller à Londres, je suis arrivée à Amsterdam, à l’invitation d’un ami. Ce stage de trois mois s’est prolongé et a débouché sur une puis d’autres embauches dans des cabinets d’architectes. Pendant huit ans, j’ai travaillé dans divers bureaux et participé à des concours, avant de créer mon propre bureau d’architectes. »
- Qu’avez-vous trouvé de si important pour rester à Amsterdam ?
Sophie: « J’y ai trouvé une nouvelle école. Je m’explique : mes études à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-Villemin (située dans les locaux de l’École nationale supérieure de Beaux-Arts, quai Malaquais) créée en 1969, dans l’après ’68 qui a mis fin à la section architecture de l’ENSBA, ont été marquées par une approche sociologique et anthropologique de l’architecture. En arrivant à Amsterdam, j’ai découvert une autre façon de faire de l’architecture, dépassant l’approche traditionnelle pour réfléchir et inventer, fabriquer à partir de concepts. J’ai appris à dessiner de l’esquisse aux détails, en suivant le même fil rouge, à interroger le choix des matériaux.
C’est donc, pour moi, comme une seconde école que j’ai suivie dès ma période de stage. »
- Votre parcours atypique a été remarqué et vous avez pu transmettre votre expérience d’architecte, acteur central de projet multidisciplinaire, en donnant des cours.
Sophie : « C’est en effet un élément important de ma vie professionnelle et qui soutient mon choix de rester dans ce pays où il fait bon vivre et dont j’ai appris à décoder les règles culturelles, comprendre les codes et partager la langue. J’ai donné des cours de théories de l’architecture et des cours d’élaboration de projet aux étudiants de master à la T.U. Delft et aux Académies de Tilburg et Amsterdam, ma formation et mon expérience plurielles permettant de proposer une approche du processus de la construction globale d’un projet. »
- Si j’ai bien compris les propos de votre site web, vous êtes actrice d’une économie circulaire, durable s’opposant à l’économie linéaire du jetable d’une part, co-créatrice avec les habitants de logements urbains correspondant à leurs souhaits, et d’autre part, vous avez une vision de la structure urbaine à développer, proposant une relation harmonieuse, un échange fluide entre espaces publics et espaces privés. Pouvez-vous m’en dire plus ?
Sophie : « Je suis conceptrice d’habitat participatif. Je dessine et construis des bâtiments collectifs pour des groupes qui, souhaitant vivre ensemble, ont élaboré ensemble les conditions de leur cadre de vie, cadre que l’architecte que je suis doit traduire en une réalisation technique qui satisfasse les souhaits des futurs habitants et les exigences décidées par la ville.
Ici il s’agit d’une coopérative d’acheteurs, là d’un ensemble de 51 futurs locataires de logements à loyer modéré. »
- Vous êtes très investie à Amsterdam, dans des quartiers en pleine transformation comme dans l’Ouest ou dans le Nord où vous participez à la transformation de l’ancien quartier industriel. Ces projets, réalisé ou en cours de réalisation, semblent fantastiques…
Sophie : « Il y a dix ans, j’ai été l’architecte d’un bâtiment innovant : Go West, projet près du Rembrandt Park, conçu avec et pour un collectif d’acheteurs. L’espace vert collectif sur le toit, les jardins d’hiver et les façades d’angle vitrées, la neutralité énergétique ont fait du bâtiment un exemple, nomimé pour le Zuiderkerkprijs 2019. (voir les projets architecturaux)
Cette réalisation est le résultat d’un processus très complexe et innovant. La ville d’Amsterdam, mais c’est aussi le cas dans d’autres villes comme Delft par exemple, propose un terrain à construire, donnant à des communautés la possibilité de proposer leur projet de construction. Une commission au sein de la ville décide du gagnant. L’architecte que je suis doit ensuite réaliser les logements conformément aux souhaits de la communauté des futurs acheteurs ou locataires, aux contraintes financières (loyers ou prix d’achat modérés) et aux directives environnementales. Il n’y a pas de promoteur, c’est un projet participatif, un travail d’équipe qui explore les limites et demande d’aller toujours plus loin. Il s’agit d’une co-création qui respecte le désir des utilisateurs et la préservation de la nature, de la biodiversité, de la flore (plantes) et de la faune (les oiseaux). L’engagement environnemental est essentiel et poussé au maximum dans la recherche de technologies qui permettent d’isoler les logements, de minimaliser les nuisances.
À Amsterdam, de l’autre côté du fleuve IJ, j’ai, dans le quartier de Buiksloterham, réalisé le bâtiment Go Buiksloterham, aussi un projet de construction circulaire et neutre sur le plan énergétique. Cette construction de 17 appartements et ateliers pour un collectif de particuliers a, en 2025, été distingué pour son design et son côté « innovation » par « The Architecture MasterPrize celebrating the best in International architecture ». Il a aussi été nominé pour le Nieuwbouwprijs 2021 et pour le EU Mies van der Rohe Award 2022. Un jardin et une grande terrasse agrémentent ce complexe orné d’une façade avec des balcons en cascade pour assurer lumière et soleil. Sur les balcons, des bacs contenant des plantes sont alimentées par l’eau des gouttières, afin de limiter les pertes d’énergie et d’eau.
Dans la construction circulaire tout est pensé pour une plus longue durée de vie, une flexibilité dans l’utilisation du bâtiment, une réutilisation possible des matériaux, des matières premières et des produits et aucun déchet. »
- Et aujourd’hui c’est le projet du Woonwolk (voir) qui vous occupe, à réaliser dans le même quartier, pour et avec un collectif de personnes qui sont passées du désespoir à l’espoir de trouver un logement, en créant leur propre immeuble d’habitation sur un terrain que la ville d’Amsterdam a mis à leur disposition, suivant les expériences existant en Allemagne, Autriche et Suisse. (Voir RedPers, 12 novembre 2023, pour l’histoire de la création de cette coopération pour un habitat participatif)
Sophie: « C’est un projet très intéressant qui permet à l’architecte d’être très créatif et innovant. Si dans Go Buiksloterham, la construction utilisait des modules en bois, ici, elle concerne une ossature bois sur une hauteur de dix étages. Ce projet est passionnant mais aussi extrêmement prenant car il faut échanger, continuer à discuter et trouver avec le collectif les contreparties dans le compromis nécessaire, caractéristique de la culture néerlandaise. »
- Vous avez construit des maisons particulières (à Leiden et Aerdenhout), puis vous vous êtes concentrée sur des complexes de logements … Quelles sont vos ambitions pour demain ?
Sophie: « J’ai en effet développé une spécialité dans la construction de logements à prix accessible, répondant à un droit au logement et à une idée du vivre ensemble … mais je ne voudrais pas m’enfermer là-dedans et limiter les possibles. J’aspire à participer à de grands projets, avec des programmes mixtes, encore plus d’espaces collectifs, éducatifs et ouverts au public. Ils se présenteront peut-être demain, avec d’autres commandes qui me permettront de développer de nouvelles compétences, poursuivant mon idéal de servir l’humain. »
- Il me semble que vous êtes visionnaire, car si vous répondez par votre créativité à des demandes complexes en construisant le cadre de vie correspondant aux désirs individuels et collectifs, vous développez aussi un cadre conceptuel correspondant à un idéal de vie en société. Vous sentez-vous artiste, missionnaire, politique ?
Sophie: « Je suis engagée ! certains diront activiste. »
Merci, Sophie, de m’avoir parlé de ce qui vous tient à cœur et qui illustre le sens de la vie d’une Française aux Pays-Bas. Je vous souhaite le succès que vous méritez, la reconnaissance des habitants et des cités pour qui vous travaillez. J’espère aussi que votre exemple fera réfléchir des décideurs qui conditionnent le bien-être de tant de personnes.