De la CED à la « Boussole stratégique » (1954-2022)

L’adoption de la « Boussole stratégique », le 21 mars 2022 par le Conseil de l’Union Européenne présidé par Emmanuel Macron, et le 24 mars 2022, par le Conseil européen (les chefs d’état et de gouvernement des états membres de l’UE) présidé par Charles Michel) pour renforcer la sécurité et la défense de l’Union Européenne d’ici à 2030 est un grand pas vers une Europe de la Défense.

Une Europe de la défense, on en parle depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et plus précisément depuis 70 ans.

En août 1954, le projet de Communauté européenne de défense (CED) élaboré par Jean Monnet, Commissaire général du Plan, et inspirateur du plan Schuman, a été rejeté par l’Assemblée nationale. Ce projet proposait un cadre supranational pour organiser la défense en Europe – une armée européenne sous une autorité unique, militaire et politique – intégrant des unités allemandes, conformément à la demande des États-Unis de réarmer la République Fédérale d’Allemagne. Le rejet par la France de la CED entraine l’abandon du projet de Communauté politique européenne et provoque une grande déception en Europe et aux États-Unis.

Egon Bahr, journaliste allemand chargé de rendre compte des débats sur la CED à Paris, commente l’échec de la CED (Metz, 10 juin 2006) :

« Je reste convaincu, aujourd’hui, encore, que l’évolution de l’Europe, pour autant que nous en souffrions, est imputable au fait que la France n’ait pas osé franchir le pas. Et je pense qu’il s’agit là d’une expérience qu’on ne peut pas nier ou mettre en doute. Le cœur de la capacité d’action européenne réside dans la disposition des États à transférer leur souveraineté à l’Europe. Et le cœur de la capacité d’action réside dans la capacité à parler d’une seule voix sur les questions de sécurité et de politique militaire. Si nous avions eu une armée européenne ou si nous nous en étions dotés, l’Europe serait aujourd’hui un global player. Les Anglais ne seraient pas venus s’y ajouter, mais ce n’est là qu’une autre conséquence et un aspect de l’évolution ultérieure. »

La CED n’a pas vu le jour, la défense a été remplacée par le commerce et la CEE est née avec le traité de Rome en 1957.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la question de la souveraineté européenne est d’actualité et le général de Gaulle l’a résolue à sa façon en dotant la France – et donc l’Europe – de la force de dissuasion nucléaire.

Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République en 2017, avait mis la (re)construction européenne au centre de ses objectifs.

Devenu président de la République française, il plaide pour construire la souveraineté européenne, en s’appuyant sur la relation franco-allemande, essentielle pour la stabilité européenne et centrale dans la durée, depuis de Gaulle-Adenauer.

Lors du discours de la Sorbonne le 26 septembre 2017, il propose d’agir pour changer en profondeur l’Europe – la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique – qui suscite souvent rejet ou scepticisme. En matière de sécurité et de défense, il plaide pour « doter l’Europe d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir […] et d’une force commune de protection civile ».

Deux ans plus tard, dans un entretien avec The Economist le 7 novembre 2019, Emmanuel Macron affirmait, à propos du retrait des Américains de Syrie et de l’intervention militaire turque en Syrie :

« Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN », reprochant le manque de coordination entre États-Unis et partenaires de l’OTAN pour prendre des décisions stratégiques. Il déplore le manque de réflexion stratégique et de cohérence politique au sein de l’Alliance et il plaide pour « muscler » l’Europe de la défense, pour la rendre moins dépendante de la garantie américaine.

Cette Europe « doit se doter d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire » car, « le risque est grand, à terme, que géopolitiquement nous disparaissions, ou en tout cas que nous ne soyons plus les maitres de notre destin ».

« L’Europe est au bord du précipice […]. Elle disparaitra […] si elle ne se pense pas comme une puissance mondiale. […] Elle a oublié qu’elle était une communauté, en se pensant progressivement comme un marché ». Il lui faut un réveil, une prise de conscience de la situation et une volonté d’agir.

Face à l’Alliance atlantique, Macron interroge l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, qui prévoit une solidarité militaire entre membres de l’Alliance si l’un est attaqué. Or il n’y a pas d’article 5 équivalent pour l’Union Européenne ! Et il insiste pour « rouvrir un dialogue stratégique, sans naïveté aucune et qui prendra du temps, avec la Russie ».

Deux ans et demi plus tard, au printemps 2022, alors que la France assure la présidence du Conseil de l’Union européenne et que Emmanuel Macron est candidat à sa réélection à la présidence de la République, d’un côté, et que, de l’autre, la guerre fait rage à l’est de l’Europe, Macron maintient le dialogue avec Poutine, les liens entre les États-Unis et ses alliés sont quelque peu réparés depuis le changement de président américain, l’OTAN s’est réveillée sous la pression de l’invasion russe en Ukraine et l’Europe de la défense connaît un nouvel essor avec l’adoption de la « Boussole stratégique ».

Fruit de travaux menés depuis juin 2020, « Premier livre blanc de défense européenne », la « Boussole stratégique » est la feuille de route de l’Union Européenne pour les dix prochaines années ; elle définit les actions concrètes à entreprendre pour « agir », « assurer la sécurité », « investir dans la défense » et « travailler en partenariat » (OTAN, Nations-Unies, partenaires régionaux, pays partageant les mêmes valeurs), « pour renforcer la liberté d’action et la résilience des Européens, [bref… ] l’autonomie stratégique de l’UE ».

Pour rappel : la France est membre fondateur de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) signé en avril 1949. Le général de Gaulle avait en mars 1966 retiré la France de la structure du commandement militaire de l’Alliance atlantique (le commandement intégré) jusqu’à ce que le président Sarkozy, ayant engagé la responsabilité du gouvernement sur sa politique étrangère, obtienne du Parlement français la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance, en mars 2009.

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