Les artistes français à l’honneur au Kunstmuseum Den Haag (créé en 1866 comme Musée d’art moderne – Museum voor Moderne Kunst et devenu de 1998 à 2019 Musée municipal de la ville de La Haye – Gemeentemuseum Den Haag)

Entretien avec Madelief Hohé

Le 15 février 2025, une nouvelle exposition a ouvert ses portes au Kunstmuseum Den Haag : « Nouveau Paris : de Monet à Morisot » (Nieuw Parijs : van Monet tot Morisot). À travers les peintures de Monet, Manet, Renoir, Degas, Bazille, Caillebotte, Cassatt et Morisot, apparaissent les réalités du nouveau Paris, celui du milieu du XIXe siècle et son icone symbolique « la Parisienne » à la mode.
En parallèle, l’exposition « Dior : A New Look » est toujours visible jusqu’au 2 mars, après avoir connu un tel succès qu’elle a dû être prolongée de cinq semaines. Madelief Hohé, conservatrice de la mode et du costume au Kunstmuseum Den Haag, est la force motrice derrière cette exposition. Nous avons eu l’occasion de la rencontrer et d’en apprendre davantage sur son travail.

  • « Nous devrions tous être féministes » (We should all be feminists) est inscrit sur le T-shirt de Maria Grazia Chiuri, l’actuelle et première directrice artistique féminine de la Maison Dior, qui perpétue les créations et la vision de Christian Dior son fondateur en 1947 juste après la Seconde Guerre mondiale. Présentée lors de sa première collection Dior en 2017, elle est devenue une pièce emblématique Que pensez-vous de ce slogan ?

Madelief Hohé : « Le message est fort, bon et important. Il est inspiré par la conférence (2009) et le texte publié par l’activiste et écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie et portant le même titre (voir Chimamanda Ngozi Adichie : Nous devrions tous être féministes | Conférence TED).
Ce qui est beau, c’est que Maria Grazia Chiuri s’engage vraiment pour cette cause du féminisme, si importante pour elle ; elle sait qu’à travers son travail, elle peut mettre en lumière d’autres femmes. C’est pourquoi elle partage régulièrement la scène lors de ses défilés de mode, avec des artistes, photographes et chorégraphes féminines. C’est inspirant de voir comment elle incarne la sororité de cette manière. De plus, elle encourage non seulement les femmes mais aussi les hommes à être féministes. »

  • Vous avez travaillé pendant des années à la préparation de cette exposition. Comment cela se passe-t-il ? Quelles sont les différentes étapes ?

Madelief : « Tout commence par une idée. Ensuite, l’idée doit grandir et trouver des soutiens. Lorsque la direction voit du potentiel dans un projet et que celui-ci obtient un budget et une place dans la programmation, le véritable travail commence : recherche, sélection, ligne narrative, restauration, organisation des prêts, photographie, rédaction des textes, conception, et enfin la réalisation ; la construction proprement dite, aboutit à une exposition réelle et un catalogue, une inauguration pour la presse, une ouverture au public et enfin l’accueil des visiteurs dans les salles. Ensuite, une fois l’exposition terminée, il faut tout ranger et passer au projet suivant. Une exposition a de nombreux parents, elle est réalisée par une grande équipe au sein et en dehors du musée, ce qui est très gratifiant. Surtout, combiner créativité, recherche, histoire culturelle (où nous essayons de relier le présent et le passé) et narration se révèle être passionnant. »

  • Vous êtes francophile et francophone. Dans quelle mesure cela est-il important pour votre travail ?

Madelief : « J’aimerais que mon français soit meilleur et je fais de mon mieux pour l’améliorer, mais heureusement, je le comprends bien et le lis parfaitement. Cependant, je n’ai pas la souplesse requise pour échanger oralement avec humour en français ou mener des négociations fluides, donc je préfère me fier à l’anglais. J’aime la manière de penser et de faire des Français. Pour mes collègues français avec qui je travaille, la qualité est importante, l’attention est importante, et ils savent mieux que quiconque penser en grand, rêver et réaliser leurs idées. Cela se reflète dans de nombreux aspects de la culture française, y compris la mode. La culture française a eu une grande influence sur la culture néerlandaise depuis des siècles, que ce soit dans la langue, l’art, la musique, l’architecture et, bien sûr, la mode. Mais il y a aussi des différences, et justement, l’étude et le démêlage de ces histoires à travers notre belle collection de mode et de costumes au Kunstmuseum Den Haag sont très intéressantes. De plus, j’apprécie énormément que La Haye ne soit qu’à 3 heures de train de Paris, ce qui permet d’y voir de nombreuses expositions et d’entretenir de bons contacts avec les collègues français, les créateurs et les maisons de couture. »

  • Quels problèmes rencontrez-vous ?

Madelief : « Sur le papier, on peut bien faire des plans et prévoir les pièces que l’on aimerait exposer, mais parfois, des aspects pratiques rendent cela impossible. Une robe peut être trop fragile pour être exposée, ou un musée peut avoir ses propres projets, empêchant un prêt. Mais il y a toujours une solution à trouver, et finalement, seule la conservatrice sait ce qui lui manque dans une histoire, celle de l’exposition ; le public, lui, se concentre sur ce qui est exposé. De plus, il est aussi beau de garder des souhaits … qui pourraient alors se réaliser une prochaine fois. »

  • Cette exposition « Dior – A New Look », comme celle de 2017 sur « Hubert de Givenchy – To Audrey with Love », créateur de mode qui travaillait à la même époque que Christian Dior, ont connu un grand succès. Leur force réside dans le fait de placer ces produits de mode dans leur contexte historique et de montrer l’art aussi comme un produit social. Quel est, selon vous, leur impact sur la prise de conscience sociale de la mode aux Pays-Bas et sur l’éducation du goût ? La collection de mode du Kunstmuseum Den Haag, reconnue mondialement, a-t-elle contribué à cela ?

Madelief : « Notre collection a été constituée dans les années 1950 et fait depuis, l’objet d’expositions. La collection se trouvait d’abord exposée dans un bâtiment du Lange Vijverberg à La Haye, avant d’être hébergée depuis la fin des années 1980 au musée, actuel Kunstmuseum Den Haag. Le public est donc familier des expositions de mode à La Haye. Je suis la quatrième conservatrice à prendre soin de cette belle collection, avec une grande équipe et notre propre atelier de restauration. Nous continuons ensemble le travail de nos prédécesseurs avec le grand avantage de pouvoir faire des recherches à l’ère numérique, où tant de sources sont numérisées et nous fournissent tant d’informations utiles. Au fil des années, nous avons acquis une notoriété certaine avec notre collection de mode et nos expositions, ce dont je suis très fière. Je travaille bientôt depuis 25 ans au musée, et je ne m’en rends pas souvent compte, tant le travail est agréable. Mais cela me touche quand, récemment, quelques jeunes personnes m’ont dit qu’elles avaient décidé de faire des études de mode et d’histoire de l’art après avoir vu, il y a 10 ou 15 ans, nos expositions de mode au Kunstmuseum Den Haag et y avoir trouvé source d’inspiration. Tout comme moi-même qui ai décidé de faire ce travail lorsque, à 16 ans, j’ai vu une exposition de mode au Palais Galliera à Paris. Je me suis alors dit : « oui, c’est ce que je veux faire ». Et voilà ! »

Merci Madelief pour ce témoignage qui met en avant l’enthousiasme qui vous habite à créer des expositions pour mettre en valeur les trésors des collections de mode et du costume de La Haye mais aussi révéler au public néerlandais et international qui vient au musée de La Haye en grand nombre, les richesses de la Haute Couture française.

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