Une lecture d’été : un suspense bien mené par Anne Boudart

Anne Boudart

Dans Une Marseillaise à La Haye & autres péripéties, (Le Livre de Poche, 2018) Anne Boudart nous a fait partager ses talents d’illustratrice et son humour pour narrer l’expérience interculturelle qu’elle, Marseillaise, a vécue en Hollande (La Haye se trouve dans la province de Hollande méridionale) avec son Néerlandais chéri.

Juste avant l’été, son premier roman est sorti, édité par Moissons noires. On y suit l’enquête menée par une détective française dans un petit village du plat pays, Beek aan Zee.

Les sombres affaires de Rosita Marcadet.

« Tome 1. Celui qui se brûle les fesses doit s’asseoir sur les ampoules. »

se lit d’un trait …, avec le sourire aux lèvres !

Anne Boudart étant illustratrice talentueuse, il n’est pas étonnant de retrouver dans cet écrit de jolies illustrations qui donnent fraicheur et repères au lecteur qui tisse sa toile.

En refermant le livre j’ai eu envie de contacter son autrice qui m’a accordé deux rencontres en vidéo, ce dont je la remercie bien chaleureusement.

J’admire votre talent d’écriture et votre imagination pour composer ce récit bien ancré dans une trame que l’on suit aisément, et qui se déroule en fonction des rebondissements successifs. Comment avez-vous fait pour penser Rosita ?

Anne : « J’avais besoin de changer d’air. Je n’en pouvais plus après la rédaction de La voie de la sagesse. Larousse m’avait commandé une bande-dessinée autour d’un thème dit féminin de mon choix. Ni les éditrices, ni moi-même nous ne nous attendions au thème que j’ai finalement retenu pour ce roman graphique aux allures humoristiques qui parle d’un sujet très sérieux pour lequel j’ai fait une enquête journalistique approfondie. J’ai donc fait le travail du personnage que je mets en scène, découvrant la violence que des femmes s’infligent, dans l’intimité de leur corps, même à l’âge de l’adolescence. »

Votre style est fluide, votre langue est riche et en même temps très accessible. On sent dans votre écriture une culture, je dirais « classique »… Vous avez une formation plurielle… Quel est votre capital culturel, tant hérité par l’éducation qu’acquis dans votre pratique professionnelle ?

Anne : « J’ai grandi entourée de livres parce que j’avais des parents lecteurs pour qui un livre est un ami sur lequel on peut compter ! Lire rend curieux, empathique, donne une ouverture sur le monde. Outre cet héritage familial, j’ai eu la chance de fréquenter un lycée public à Marseille, qui offrait non seulement des options artistiques – j’ai choisi le théâtre – mais encore une panoplie de matières qui répondaient à ma curiosité, philosophie, histoire, langues.

Mes études supérieures m’ont permis de poursuivre dans cette voie, interrogeant le rapport entre culture antique et monde contemporain, dans l’interdisciplinarité entre histoire, littérature, arts, langues anciennes, approche de la philosophie et de la rhétorique. À l’Institut d’études supérieures des arts, la formation Master en alternance m’a donné des outils pour travailler comme attachée de presse dans le monde de l’édition.

Au Livre de Poche, les contacts avec les auteurs de tous horizons, débutants ou confirmés, romanciers ou scientifiques… m’ont vite donné envie d’inverser les rôles et de me retrouver à leur place. Je dessinais déjà un peu tous les jours, même un petit quart d’heure, mais j’ai vraiment eu envie d’écrire et de publier mon travail. »

Vous avez en effet plusieurs cordes à votre arc artistique, comment choisissez-vous votre mode d’expression ? Quelles en sont les forces et les faiblesses ?

Anne : Je n’ai jamais pris de cours de dessin ni d’écriture et pourtant j’ai toujours dessiné et écrit. Il faut dire que tout me prend beaucoup de temps pour réaliser ce que je souhaite, c’est beaucoup de travail. Et puis, j’ai le symptôme de l’imposteur ! Suis-je habilitée à écrire et dessiner ? Qu’importe ! Je me lance et réalise mon rêve qui a toujours été d’être écrivaine. Dans « écrivaine » j’englobe le graphisme car j’ai toujours aimé dessiner ; cela me fait du bien, me permet de vider ma tête. J’écris en dessinant, cela va ensemble, je ne peux abandonner l’un ou l’autre. Aujourd’hui ma pratique graphique est plus professionnalisée, je dessine davantage à l’IPad qu’aux crayons de couleurs, c’est un gain de temps considérable. Après mon roman graphique, j’ai eu envie de m’aventurer dans l’écriture d’un roman policier. »

Rosita est une histoire de femme(s). Pouvez-vous me parler de votre rapport à la femme ? Êtes-vous féministe ? L’êtes-vous devenue ?

Anne : Ma prise de conscience féministe est venue petit à petit et quelque peu tardivement. Ma mère m’a enseigné très tôt  à ne jamais dépendre d’un homme. Puis j’ai découvert un monde du travail globalement injuste et inégalitaire pour la femme. Le féminisme se construit avec les expériences.

Le travail de recherche effectué pour écrire ma BD La voie de la sagesse a révélé beaucoup de choses enfouies. ça a été un déclencheur très déstabilisant. D’un coup, je regardais la violence physique et sociale que subit la femme dans nos sociétés droit dans les yeux.

Je me suis aussi rendue compte, à retardement, des injustices et des violences que j’avais moi-même subies dans le passé. Tout a surgi, c’était violent. Détourner le regard était impossible. Ce fut une période très difficile, étrange, triste, j’étais sidérée. En fin de compte, ça m’a libérée. »

Vous identifiez-vous à un personnage de vos romans ?

Anne : « Oui bien sûr on retrouve des traits de mon tempérament dans Rosita ; je partage son hypersensibilité, son aversion pour l’injustice.

J’imagine que chacun de mes personnages intègre des éléments de personnes qui me sont familières. Mon ambition est de les rendre vrais, c’est-à-dire complexes et plein de contradictions. Ce ne sont pas des sujets lisses. Ils ont des défauts et des qualités, sont attachants ou exaspérants, grossiers et courtois, incompréhensibles et prévisibles…

Mes personnages féminins participent de l’action et ne sont pas, contrairement à ce que l’on a pu voir dans les films (cf. le test de Alison Bechdel), confinées à parler de problèmes de couple ou d’enfants. Elles ont un nom, un prénom, une complexité ! »

Quel impact a eu l’expérience hollandaise, la vie avec un Néerlandais ?

Anne : « Ma vie aux Pays-Bas m’a poussée à remettre en question les implicites de la vie sociale. Je trouve que c’est une terre très riche en contradictions, ce qui force à réfléchir et à dépasser ses préjugés. J’ai découvert un statut de la femme mariée, de la mère de famille différent de ce qu’il est en France : la maternité place d’office la femme dans une catégorie à part. Je ne sais pas si en France la situation des mères de famille est plus enviable, il y a d’autres problèmes, mais j’ai découvert aux Pays-Bas une persistance des rôles traditionnels à laquelle je ne m’attendais pas. En revanche j’ai apprécié très vite de pouvoir me mouvoir dans l’espace public néerlandais, tranquille, sans être embêtée ou angoissée. D’un coup on devient simplement quelqu’un parmi les autres, on n’est plus un morceau de viande (combien de mains aux fesses dans le métro parisien sur le chemin de la fac… À l’époque, je n’osais rien dire à personne)

[À ce propos, la chanson de Marie-Josée Neuville, Le monsieur du métro chantée en 1956 (45 tours, Pathé) par une jeune fille de 18 ans, a été interdite de diffusion à la radio, par le comité d’écoute, le CSA de l’époque]

Ma grande révélation c’est lorsque j’ai appris le néerlandais. Pourtant je pouvais communiquer en anglais avec la plupart des gens, mais quand je me suis mise à parler la langue du pays, c’était comme si j’essayais des lunettes pour la première fois, c’était y voir clair et mesurer à quel point tout était flou auparavant.

En effet, comprendre une culture passe par l’apprentissage de la langue, vecteur de la représentation du monde, de la façon de penser. Parler la langue de l’autre enrichit mutuellement et permet un échange en profondeur pour accéder à la personne de façon authentique. »

Votre parcours interculturel depuis dix ans, avec un compagnon néerlandais, vous a conduite d’Espagne, pays d’une de vos-grand-mères, aux Pays-Bas avant de revenir dans le Midi de la France, à Marseille, ville si particulière et à l’histoire ancienne… Où serez-vous dans dix ans ? Et en quelques mots comment vous  définir aujourd’hui ?

Anne : « Je suis hypersensible, attentive et empathique, de caractère joyeux mais en proie à l’anxiété. Je ne sais où je serai dans dix ans mais je souhaite rester curieuse et attentive au monde. Je me vois toujours écrire et dessiner et … on va poursuivre notre échange interculturel avec mon compagnon puisque je suis enceinte ! »

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