Toutes mes félicitations, chère Maaike, pour cette nomination de Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques. C’est une belle reconnaissance de ce que vous faites depuis de nombreuses années et j’en suis très heureuse pour vous.
D’où vous vient cet amour des langues ? et de la langue française en particulier
Maaike : « Cela vient en premier lieu de mon contexte familial. Fille d’un pasteur protestant, j’ai baigné dans la culture de la parole dès la plus jeune enfance. Nous n’avions pas la télévision et, ma mère étant une grande lectrice, j’ai suivi son exemple et passé mon enfance à lire. Mon père, de son côté s’intéresse beaucoup aux langues étrangères et il s’amusait pendant nos vacances au Danemark à apprendre la langue pour pouvoir communiquer avec la population locale. Moi, vers 10 ans, j’en profitais pour essayer de décoder leurs conversations et ainsi apprendre le danois à mon tour. Nous échangions nos découvertes sur les similitudes entre le danois et l’anglais, et je me souviens aussi que nous avions acheté une cassette d’une chanteuse norvégienne et que nous analysions les paroles pour découvrir les similitudes entre ces deux langues scandinaves. Cela me procurait beaucoup de plaisir et j’étais naturellement ravie de pouvoir intégrer à 12 ans un collège-lycée classique où je pouvais élargir mon répertoire linguistique avec trois langues modernes en plus du grec et du latin (et je regrette encore que l’espagnol manquât au tableau).
Ainsi, quand le temps fut venu de choisir une filière universitaire, c’était pour moi une évidence que j’allais faire des études de langue. Mais laquelle ? J’étais très forte en anglais, mais j’avais l’ambition de me spécialiser dans une langue moins familière. Je penchais le plus vers l’italien – qui est toujours une de mes langues préférées –, mais j’avais aussi une vocation pour l’enseignement, alors c’est le français qui m’est apparu comme l’option la plus logique. Or, à l’époque, je n’étais jamais allée en France et je connaissais très peu sa culture, à part les quelques livres que j’avais dû lire au lycée. C’était à vrai dire un peu intimidant de me retrouver dans une salle de classe où tout le monde semblait avoir des liens étroits avec la France, et par conséquent une plus grande facilité d’expression. Il y avait donc pour moi tout un univers à découvrir, et je m’y suis lancée avec beaucoup d’enthousiasme. Lectures, voyages, rencontres – c’est une aventure passionnante qui continue jusqu’à ce jour et sur laquelle j’ai pu bâtir une belle carrière. »
Qu’est-ce qui a déclenché votre motivation à vous engager pour la promotion des langues secondes dans l’enseignement néerlandais ?
Maaike : « C’est la réalisation que mon amour pour les langues est de moins en moins partagé par la jeune génération et que nous sommes en train de perdre le multilinguisme qui fait notre réputation à l’étranger. Or il est vrai que la plupart des élèves néerlandais apprennent trois langues vivantes. Mais le clivage entre leurs compétences en anglais et leur maîtrise du français ou de l’allemand est immense. Notre pays est en voie de devenir bilingue néerlandais-anglais, surtout dans les grandes villes. C’est d’ailleurs un phénomène que je trouve fascinant ; je ne suis pas de ceux qui souhaitent ‘protéger’ notre langue des influences anglaises. Cela me semble un processus naturel et irréversible, à l’image des influences que la langue française a pu avoir par le passé.
Cependant, ce qui m’inquiète par les temps qui courent, c’est que peu de gens voient encore l’intérêt d’apprendre d’autres langues, de s’ouvrir sur d’autres cultures – notamment celles des pays voisins qui sont nos alliés principaux dans le contexte européen. Le fameux pragmatisme néerlandais se traduit en politique par une focalisation excessive sur la soi-disante utilité et la rentabilité des programmes d’enseignement, ce qui laisse très peu de place aux soft skills qui sont la raison d’être des filières de langue, et des humanités en général.
Depuis plusieurs décennies, nos effectifs d’étudiants sont en baisse constante. Ils ont atteint à ce jour un niveau critique, à tel point que leur survie est devenue incertaine. Ce serait à mon avis une immense perte pour la vie intellectuelle aux Pays-Bas de ne plus enseigner et étudier le français, l’allemand et l’espagnol à nos universités. Déjà on remarque dans les médias, dans le champ culturel ou dans le monde des affaires, qu’il n’y a plus que la vieille génération qui se sente à l’aise dans ces langues ; les maisons d’édition, par exemple, n’ont généralement plus d’employés qui soient capables de suivre l’actualité littéraire dans les grands pays littéraires que sont l’Allemagne et la France. Cela veut dire aussi que nos étudiants trouvent facilement du travail – et non seulement dans l’enseignement –, parce que la maîtrise d’une langue moderne en plus de l’anglais les distingue vraiment des autres. Or, je veux bien admettre que les études de langue ne sont pas susceptibles d’attirer des masses, mais je suis convaincue que nous avons le potentiel de revenir à un niveau acceptable. C’est pourquoi je me suis investie dans de nombreuses initiatives visant à stimuler l’enseignement des langues. La constante dans mon approche est une attitude optimiste et fédératrice : unissons-nous pour célébrer notre amour commun pour les langues modernes et les contenus culturels qu’elles peuvent véhiculer. C’était l’idée centrale derrière la Journée de la langue française : « Fêtons la francophonie » ! »
Quels facteurs ont favorisé et/ou contrarié vos actions et que diriez-vous des résultats de votre investissement qui relève du charisme et de la détermination ?
Maaike : « Nous sommes arrivés à un point où l’avenir des langues vivantes dans le secondaire est menacé par une pénurie d’enseignants qui atteindra bientôt les 10 à 15% pour le français, l’allemand et les langues classiques. Nous sommes très loin de former suffisamment de jeunes professionnels pour remplacer les professeurs qui partent à la retraite. Le ministère de l’Éducation et les universités ont mis en place un certain nombre de dispositifs pour remédier à ce problème, dont l’instauration d’une Plateforme nationale pour les langues pour laquelle j’ai travaillé pendant cinq ans. Nous avons fait une analyse des causes et des conséquences de la baisse d’intérêt pour les langues (voir https://platformtalen.nl) et conçu une campagne de promotion des études de langue et de culture. Nous voyons que le site web du projet (https://talenstudievoorjou.nl/) attire des dizaines de milliers de visiteurs, qui peuvent y lire des témoignages d’étudiants, et explorer le grand nombre de filières universitaires dans ce domaine. Malheureusement, nous ne voyons pas de résultats spectaculaires au niveau des inscriptions.
Nous pensons que les nombreuses initiatives pour stimuler les sciences dites ‘dures’ ont semé l’idée que ces disciplines sont plus intéressantes et plus prestigieuses que les humanités. Dans le secondaire, les élèves sont fortement encouragés à choisir un profil technique, quels que soient leurs intérêts ou leurs talents particuliers. Le profil qui se concentre sur la culture et la société est perçu comme un débouché pour les élèves faibles ou peu ambitieux. Ceci impacte naturellement le statut du français et de l’allemand en tant que matières scolaires. Avec la campagne, nous avons essayé de montrer que les langues et la culture, c’est aussi un domaine dans lequel on peut exceller et qui offre des opportunités professionnelles très intéressantes et variées. Nous faisons notamment appel aux enseignants pour diffuser ce message et stimuler activement leurs élèves à se spécialiser dans les langues.
J’espère aussi que le processus de révision des programmes d’enseignement en cours, aboutira enfin, malgré la résistance au changement qui caractérise le monde enseignant. Dans les nouveaux programmes, le traditionnel entraînement à la grammaire et au vocabulaire devrait être remplacé par un modèle où l’acquisition des compétences linguistiques (reliées au Cadre européen commun de référence pour les langues) sera combinée avec l’apprentissage de contenus intéressants issus des disciplines académiques de la linguistique, des sciences littéraires et culturelles, etc. J’ai bon espoir que ces nouveaux programmes, en étant plus exigeants et plus variés, puissent enthousiasmer plus de jeunes pour nos filières. Encore faut-il qu’ils ne soient pas détournés de cette voie par leurs parents ou par les conseillers d’orientation… La bataille est loin d’être gagnée. »
Merci Maaike, pour cet engagement qui mérite bien reconnaissance, distinction et succès. J’admire votre votre savoir-faire et votre force de conviction.