J’ai rencontré Juliette Reyne qui m’a accueillie à la Cour pénale internationale à La Haye.
- Française aux Pays-Bas, vous êtes fonctionnaire internationale, travaillant dans une organisation internationale relativement récente puisqu’elle n’a que 25 ans, la CPI. Comment êtes-vous arrivée là ?
Juliette Reyne : « Le goût pour l’international s’est développé pendant mes études mais sans doute m’a-t-il été donné très jeune, grâce à mon héritage, tant maternel que paternel, plurilingue et pluriculturel. Mes parents sont issus de familles plurilingues, parlaient anglais entre eux, ma mère étant professeure d’anglais et d’origine bulgare. L’ouverture à l’autre, le désir de comprendre et d’expliquer, la volonté d’essayer et l’audace à prendre des risques vont pour moi de soi. J’ai donc, pendant mes études, saisi toutes les occasions possibles pour expérimenter la diversité, voyager et oser les stages à l’étranger.
Mes études à Sciences Po Toulouse m’ont permis de faire des expériences d’études (droit international à John Jay College of Criminal Justice à New York) et de travail dans la diplomatie (stages à Sofia, à New-York notamment à la Représentation permanente de la France auprès de l’Organisation des Nations-Unies). Par la suite j’ai eu la chance d’avoir d’autres belles opportunités professionnelles à l’international, qui m’ont menée de Vienne à Kinshasa puis à Kiev, avant de rejoindre La Haye, il y a dix ans.
J’ai toujours voulu faire quelque chose d’utile et m’occuper de questions d’importance, qui servent à faire avancer les choses. »
- Vous parlez plusieurs langues, est-ce un grand avantage dans votre travail au quotidien ?
Juliette : « Les langues de travail sont l’anglais et le français mais dans la pratique, nous travaillons essentiellement en anglais. Néanmoins, ma connaissance de plusieurs langues est un très gros atout au quotidien, dans le cadre de mes recherches ou de mes rencontres professionnelles mais également dans un cadre plus social et convivial dans un univers professionnel multiculturel.
Les langues officielles de la Cour sont l’anglais, l’arabe, le chinois (mandarin), l’espagnol, le français et le russe, (article 50 du Statut).
De très nombreuses langues sont utilisées à la Cour, langue liée à une situation, c’est-à-dire un pays, et langue de coopération judiciaire (article 87 du Statut). »
Je me suis adressée en français aux personnes qui étaient à l’accueil (à l’entrée puis après le contrôle) mais elles m’ont répondu en anglais jusqu’à ce que nous passions au néerlandais.
- Vous êtes depuis dix ans aux Pays-Bas et vous choisissez d’y rester pour l’instant, tant que votre situation familiale le permettra.
Juliette : « Oui, nous nous sommes installés aux Pays-Bas lorsque j’ai pris mes fonctions à la CPI et on y est bien, tant dans ce pays qu’à La Haye. La qualité de vie est très appréciable. Pour les enfants, l’environnement est très calme et agréable – gezellig comme disent les Néerlandais. Reste que la distance avec nos proches est parfois pesante, en particulier pour les enfants qui voient peu leurs grands-parents et la famille.
Pour notre ainée nous avons fait le choix de l’école française, pour le cas futur éventuel où elle doive être scolarisée loin de la France, mon époux travaillant pour les Nations Unies, hors d’Europe. Néanmoins nous tenons à ce que son frère, comme elle avant lui, fréquente la crèche néerlandaise par souci de bien-être et d’intégration – un choix parfois mal compris par certains expatriés. Nos enfants sont bilingues, français-néerlandais.
Ce travail me passionne. À un tel poste, soit on reste deux ans et on change, soit on reste plus … et cela peut être longtemps ! »
- Qu’aimez-vous dans votre travail ?
Juliette : « La diversité ! Tout est à inventer dans la justice internationale. Il n’y a pas deux cas identiques. Le travail n’est donc pas répétitif.
Ce qui est très gratifiant, c’est la satisfaction d’avoir participé à un processus important, de se sentir utile dans l’institution pour faire avancer les choses.
La CPI est une institution très complexe qui gagne en notoriété et devient progressivement un acteur des relations internationales et de la géopolitique.
Mon bagage français, fruit de mes études et stages m’est très utile pour aborder les questions de façon globale. Faire l’analyse des situations nécessite de comprendre les dynamiques locales, régionales/nationales et internationales, d’aller au-delà du prisme légal et d’avoir une réflexion qui tienne compte des différences culturelles et relationnelles. »
- Vous avez acquis un sérieux capital. Le gardez-vous pour vous ?
Juliette : « J’ai la chance de régulièrement donner des cours à des étudiants de mon ancien Master à l’École de Droit de l’université d’Auvergne à Clermont-Ferrand. J’aime beaucoup transmettre mon expérience. Je leur propose des exercices professionnalisants et les aide dans leur orientation future. J’insiste toujours sur l’importance de la connaissance du terrain pour pouvoir faire une analyse. Il n’y a selon moi, pas de théorie sans pratique ! »
Merci Juliette pour cette rencontre très agréable et enrichissante et j’espère que, comme vous me l’avez proposé, nous pourrons organiser une visite de la Cour pénale internationale pour nos compatriotes.