En ces temps où les media donnent beaucoup d’attention aux possibilités créées par l’intelligence artificielle, on s’intéresse beaucoup au phénomène et à la pratique de la traduction, se posant la question de l’utilité et de la place de l’humain dans le procédé de traduction, lorsqu’il existe des outils très performants utilisant l’intelligence artificielle pour traduire un texte.
Ces derniers mois, Néerlandais traducteurs d’œuvres complexes en français susceptibles d’intéresser un public de lecteurs néerlandais, et Français, traducteurs d’œuvres littéraires néerlandaises pour un public francophone ont été invités à parler de leur métier dans des rencontres organisées en partenariat avec l’Institut français des Pays-Bas.
Les œuvres traduites permettent au lecteur de découvrir, dans sa langue, un monde nouveau, celui d’une culture autre. Des traducteurs qui connaissent la langue et la culture de l’œuvre à traduire sont donc bien nécessaires mais pour Adriaan van Dis, rien ne vaut la lecture en langue originale, car « la langue est culture ». Son plaidoyer pour une éducation au plurilinguisme et au pluriculturalisme lui a valu d’être nommé docteur Honoris Causa de l’université Radboud de Nimègue en mai 2022 pour son rôle d’ambassadeur dans ce domaine.
Van Dis parle de sa carte linguistique plurielle, baigné dans diverses langues dès son enfance, le malais de ses parents, le Petjoh des serviteurs, l’anglais en famille et pendant l’éducation puis le français langue choisie et langue de l’amour, enfin l’afrikaans, langue dans laquelle il a cherché « la couleur que l’on niait à la maison mais qui était clairement très présente ».
Parler français est pour lui une forme de jeu théâtral, le français le rendant plus féminin, exemple de son vécu, soulignant que chaque langue résonne différemment selon son tempérament (elke taal doet iets anders met je karakter).
Et dans un interview le 15 décembre 2022 il confie à Maaike Koffeman son plaisir de pouvoir lire Houellebecq en français, dans sa version originale !
Le traducteur de Michel Houellebecq, Martin de Haan a été invité à parler de sa pratique de traducteur, dans le cadre d’un symposium Où en est la traduction? organisé le 2 mai 2023 par Platform Frans en partenariat avec l’université d’Utrecht et l’Institut français. Dans un séminaire interactif sur la traduction, il est vite apparu que la créativité du traducteur littéraire est essentielle, que la traduction est une lecture du texte original, qui permet à un lecteur d’une autre langue de le lire et le comprendre.
La traduction littéraire qui nécessite des compétences certaines est pour lui un art, plus qu’un métier ; il ne peut pas être remplacé par la machine.
Le 24 mai 2023, la librairie Stanza de La Haye a accueilli Philippe Noble – ancien professeur de littérature néerlandaise à Paris, ancien Conseiller culturel et Directeur de la Maison Descartes (Institut français à Amsterdam), ancien Directeur du Réseau Franco-Néerlandais –, en sa qualité de traducteur de nombreux ouvrages néerlandais. Pour son œuvre il a reçu en 2001 le Prix Hiëronymus de la Société néerlandaise d’interprètes et traducteurs (qui porte le nom de Saint Jérôme, traducteur de la Bible en latin, la Vulgate, reconnue par le Concile de Trente 1545-1563, comme version officielle de la Bible pour l’église catholique).
La collection qu’il dirige chez Actes Sud permet au lecteur francophone de découvrir nombre d’œuvres de littérature néerlandaise, qui font désormais partie du patrimoine littéraire européen accessible en langue étrangère.
Pour Noble, la traduction est « une interprétation », « une interprétation écrite » et donc « un commentaire », « un commentaire qui par rapport au texte tente d’en supprimer et d’en ajouter le moins possible » (Ontwikkeling van een vertaler, 27-10-2001).
Si le problème numéro un que rencontre le traducteur est de résoudre la distance culturelle existant entre le texte source dans son contexte et la langue cible dans son contexte, son travail doit être un plaisir. Et Noble de préciser que la traduction, c’est une lecture qui nécessite de tout comprendre, c’est ensuite de l’écriture et c’est le plaisir d’écrire dans sa propre langue à la recherche des sons, des rythmes, des transpositions culturelles adéquates. En cas de nécessité, le traducteur entoure le texte de paratexte en insérant des notes ou même des explications discrètes dans le texte (24 mai 2023, La Haye).
Alors que pour l’enseignement des langues modernes étrangères, les Pays-Bas ont joué un rôle de pionnier en Europe – depuis la loi Thorbecke de 1863, trois langues (le français, l’allemand, l’anglais) faisaient partie du programme obligatoire des écoles d’enseignement secondaire, la situation est aujourd’hui très préoccupante. Le français et l’allemand, devenus matières optionnelles dès la troisième classe, sont boudés par les élèves du secondaire, les enseignants de langues manquent, le nombre d’étudiants en langues modernes étrangères a très fortement diminué dans les universités. Et pourtant les compétences en langues et cultures étrangères sont essentielles dans la vie économique, culturelle, politique et diplomatique, pour les échanges internationaux en contexte mondialisé.
Les traducteurs littéraires dont le travail est souvent annexe, mettent leur amour de la littérature et leurs compétences plurilingue et pluriculturelle au service de l’autre, de l’étranger.
Entre la France et les Pays-Bas, la circulation d’œuvres littéraires se fait dans les deux sens et, depuis quelques décennies, la littérature néerlandaise moderne et contemporaine est accessible en français. Et si beaucoup d’œuvres françaises classiques ont été traduites en néerlandais, l’ouvrage phare de Rousseau Julie ou la Nouvelle Héloïse n’a toujours pas été traduit. Avis aux intéressés !