Entretien avec Julie Manens
Si elle n’est pas polyglotte de naissance et d’éducation, Julie Manens a choisi de faire du plurilinguisme sa compétence professionnelle.
Son amour de la langue anglaise remonte à l’enfance, notamment avec la revue pour enfants « J’apprends l’anglais en jouant ». Son apprentissage des langues anglaise et espagnole a été facilité par son « oreille perroquet », une étonnante capacité à entendre des sons « étrangers » et à les reproduire, à parler avec l’accent de l’allocutaire, par imitation. Pour l’exercice des professions de traductrice et d’interprète, la bonne mémoire dont elle dispose a été un grand atout.
Actrice au cœur d’une aire linguistique diversifiée
Après des études de langues et cultures étrangères puis une formation de traductrice à l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT), Julie a expérimenté la diversité linguistique et culturelle du monde anglophone en travaillant à Paris dans les ambassades d’Afrique du Sud, d’Australie puis des États-Unis où la langue véhiculaire officielle est « un » anglais multiple qui n’est pas toujours la langue maternelle de ceux qui le parlent.
Julie : « J’ai été traductrice et interprète pour des diplomates en poste à Paris et des personnalités en visite officielle. Je pratiquais exclusivement l’interprétation consécutive (traduction du discours au fur et à mesure qu’il est prononcé, l’orateur s’interrompant pour laisser parler le traducteur), la difficulté étant de parvenir à s’adapter à un anglais toujours différent et à des cultures multiples.
Si la règle veut qu’un traducteur traduise vers sa langue maternelle, de l’anglais en français en l’occurrence, la pratique en ambassade veut que l’on traduise dans les deux sens, pour les autorités françaises et pour les invités étrangers. Il fallait donc être capable de comprendre n’importe quel anglais mais aussi d’adapter mon propre anglais à l’auditeur ou au public cible, pour être sûre que le message soit parfaitement compris. C’est parfois bien difficile ! »
Traductrice à l’ONU
Après avoir fait un grand tour dans les ambassades parisiennes de pays anglophones à Paris, vous êtes, recrutée sur concours, entrée à l’ONU, « une sorte de Graal pour les étudiants en traduction ». Et vous voilà à Bangkok où se trouve la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique. Si pour vous, l’Asie a signifié l’exotisme, l’altérité totale, vous avez appris le thaï pour pouvoir comprendre la culture du pays dans lequel vous avez vécu plusieurs années et où vous avez donné naissance à votre fille ainée.
Depuis 2019 vous êtes traductrice à la Cour Internationale de Justice (International Court of Justice), au Palais de la Paix (Vredespaleis) à La Haye.
- En 1946, la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal des Nations Unies, instituée par la Charte des Nations Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945, remplace la Cour permanente de Justice internationale dont la première séance s’est tenue en 1922 et dont l’existence était prévue par le Pacte de la Société des Nations, Partie I du Traité de Versailles signé le 28 juin 1919 dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles (voir).
Julie : « La mission de la Cour est de régler, conformément au droit international, les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les États et de donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes et les institutions spécialisées de l’ONU autorisés à la faire.
La Cour se compose de quinze juges qui sont élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle est assistée du Greffe, son organe administratif. Ses langues officielles sont le français et l’anglais.
Le département linguistique du Greffe compte une douzaine de traducteurs et réviseurs de langue française et trois de langue anglaise, qui traduisent tous les textes officiels de la Cour mais également les documents internes. » (voir)
Au cœur du droit international, votre travail est fort intéressant, si je comprends bien.
Julie : « Le registre de langue est très soutenu, le vocabulaire est technique et juridique, les sujets sont très variés et concernent de nombreux domaines du droit international. Nous sommes au cœur de l’actualité mondiale et les affaires à traiter, toujours différentes sont de plus en plus nombreuses. »
Traduire ? Quel défi !
Julie : Le défi du traducteur, qu’il soit technique ou littéraire, est de trouver l’équilibre parfait entre la fidélité nécessaire au texte d’origine et la fluidité de l’expression dans la langue cible. Une traductrice est toujours sur la corde raide ! »
Et les nouvelles technologies ?
« La question de la traduction automatique et de l’utilisation des moteurs d’intelligence artificielle sont à l’ordre du jour dans le monde de la traduction bien sûr. Pourtant, à la Cour on est loin de penser à la disparition du traducteur car on n’y utilise ni la traduction automatisée ni même la mémoire de traduction (qui permet de reconnaître des phrases déjà traduites précédemment). On tient à éviter tout glissement de sens, les contextes et les affaires traitées étant toujours différents. Vu l’importance des textes qui relèvent de l’application du droit international, la traduction par l’humain est essentielle pour que les nuances soient rendues et que l’attention nécessaire soit consacrée à tous les textes.
La qualité est une priorité absolue ! »
D’étudiante timide mais avide de découvertes, Julie « curieuse, à l’écoute et confiante » est devenue une professionnelle de la transposition linguistique de réalités complexes, juridiques et techniques, dans une langue qui a encore cours dans la diplomatie internationale au Palais de la Paix à La Haye, ville qu’elle a adoptée avec plaisir pour y vivre en famille, en apprenant chaque jour un peu de langue et de culture néerlandaise.
très intéressant, merci!