L’engagement d’une Française aux Pays-Bas, à Goeree-Overflakkee

Entretien avec Catherine van Vliet-Saivres

Catherine van Vliet-Saivres, née à Orléans, habite depuis quarante-cinq ans sur l’île de Goere-Overflakkee et aujourd’hui à Middelharnis, le plus gros village de l’île, avec son beau port de plaisance relié au Haringvliet dans l’estuaire de la Meuse. Elle y travaille dans la voilerie van Vliet, entreprise que son mari néerlandais a créée il y a plus de quarante ans. Lui dessine crée et construit les voiles ; elle, avec le secrétariat, gère l’administration et la communication.

La première île au sud de Rotterdam, en Hollande méridionale comprend une seule commune qui en 2013 a regroupé les quatre communes de l’île issues de la fusion des treize communes ayant existé jusqu’en 1966.

Grâce à la réalisation du Plan Delta soutenu par la Loi Delta de mai 1958 et dont les travaux ont duré presque quarante ans, l’île est aujourd’hui reliée aux autres îles et au continent par quatre barrages qui assurent la protection des îles poldérisées et permettent aussi la circulation automobile entre les provinces de Hollande, Brabant et Zélande depuis 1965 pour le premier (Grevelingendam) et 1972 pour le quatrième (Brouwersdam). Ce plan Delta, fleuron des Pays-Bas dont presque la moitié du territoire se trouve sous le niveau de la mer – NAP[1] -, a été développé pour protéger le pays d’une nouvelle catastrophe, après celle vécue en 1953 et ses plus de 1800 morts dans le delta de la Meuse et du Rhin. L’inondation dans la nuit du samedi 31 janvier au / 1er février 1953 a, dans cette île de Goeree-Overflakkee, coûté la vie à 492 victimes. Le cheptel de cette île dont, outre la pêche, l’activité principale est l’agriculture et l’élevage, a été très touché avec la perte de 4500 vaches, 3000 cochons, 350 chevaux, 22000 poulets…

  • Les habitants de l’île, comme ceux de Zélande sont connus pour l’importance qu’ils attribuent à la religion. Goeree-Overvlakkee, et tout particulièrement dans sa partie occidentale, fait partie de ce que l’on appelle la Bijbelbelt (ceinture biblique) pour le protestantisme fondamentaliste de ses habitants, allant de la Zélande à l’Overijssel, dans une diagonale Sud-Ouest/Nord-Est du pays.

Catherine : « Oui, encore aujourd’hui, le milieu de vie est marqué par une forte tradition protestante et il est préférable de tenir compte du repos dominical.

La vie quotidienne sur l’île change cependant de plus en plus avec les nouveaux arrivants issus de diverses cultures.

À Middelharnis, j’ai eu la chance de travailler comme secrétaire dans un cabinet d’avocats avec un patron très ouvert, francophile et stimulant. Il m’a offert des cours de néerlandais, ce qui m’a permis de développer mes compétences de secrétaire plurilingue et occasionnellement de traductrice. »

  • Votre amour des langues et autres cultures est-il ancien ?

Catherine : « Jeune adolescente, j’ai eu la chance d’aller en Angleterre – j’ai découvert Londres avant Paris ! – et aussi en Allemagne. Outre-Manche, j’ai construit des amitiés sincères et durables, de plus de cinquante ans. J’y ai découvert un monde de l’art que j’ignorais et j’ai appris à aimer la sculpture et la peinture. La rencontre avec mon mari néerlandais à La Rochelle dans le monde de la voile nous a conduits à nous installer aux Pays-Bas et à beaucoup voyager tant aux États-Unis qu’en Asie pour les affaires et les compétitions de voile.

Vivant dans ce contexte international, j’ai développé l’empathie nécessaire pour bien vivre en famille bi-culturelle, dans un monde néerlandais, avec mon héritage de Française élevée par des parents très méritants. »

  • Des compétences que vous voulez partager…

Catherine : « J’aime partager ce qui me fait grandir. J’aime rencontrer des personnes et tisser des liens, j’aime permettre à d’autres d’en tisser dans leur domaine. J’aime servir d’intermédiaire et mettre mes talents au service des autres. »

  • Vous donnez des cours de Dru-Yoga et pratiquez la méditation…

Catherine : « Je cherche à suivre en effet l’étoile (Dru en sanscrit) qui est placée en nous dans la région du cœur. Il y a presque vingt ans j’ai commencé à suivre une longue formation pour devenir instructrice dans l’art de lâcher-prise et libérer les tensions par le Dru-Yoga. J’effectuais alors un travail de pionnier car dans notre île, les termes de Yoga et méditation n’étaient pas courants en 2005. La situation a bien changé depuis et continue d’évoluer, ce qui est pour le mieux ! J’aime travailler dans le silence et le calme à ce que l’énergie puisse circuler sans être bloquée. »

  • Vous êtes aussi poète à vos heures…

Catherine : « Depuis dix ans, je suis membre d’un petit groupe qui se réunit une fois par mois et partage la création poétique : de Reizende Dichters ou les ‘Poètes Voyageurs’. Nous semons notre passion auprès des élèves du primaire auxquels nous donnons des cours et bientôt auprès des élèves du secondaire, auprès des villageois qui découvrent des poèmes temporaires sur la façade de l’hôtel de ville ou gravés sur pierre, et auprès de nos concitoyens îliens à qui nous proposons des cafés littéraires où poésie et littérature se combinent avec musique et voyage. »

  • Vous cultivez votre bagage culturel français dans le terreau néerlandais…

Catherine : « J’essaie de développer autour de moi un réseau culturel qui profite aux plus proches et qui implique aussi nos responsables de la vie communale ; ainsi, avec Muziek in de voorstraat nous invitions chacun à des rencontres musicales conviviales, mobilisant les uns et les autres, autour d’artistes de musique classique et utilisant l’ancien hôtel de ville (het oude raadhuis), maison commune pour se retrouver ensemble après avoir écouté divers concerts chez les uns et les autres. Aujourd’hui c’est au centre culturel De over kant à Ouddorp que je présente les concerts. »

  • Avec une collègue néerlandaise, vous avez traduit les textes d’une brochure destinée à donner de la visibilité au projet de nouveau Memorial 40-45 Kapelle et à aider à la réalisation de ce nouveau Centre commémoratif à la mémoire des soldats de l’armée française (Français, Algériens, Marocains et autres Africains) tombés au champ d’honneur pendant la Seconde Guerre mondiale.

Catherine : « En fait je fais ce travail de traduction avec Annalies Ras pour le Musée Mémorial qui existe depuis 2012 et qui a besoin de subventions pour s’établir dans un nouveau lieu, le terrain qui jouxte le cimetière français de Kapelle où chaque année se tient une cérémonie très émouvante (voir les commémorations  de 2022, de 2023, de 2024). Le projet de construction du nouveau Memorial 40-45 Kapelle est aujourd’hui entre les mains de la Fondation Vitality dont le président Andries Looijen a su associer des volontés pour faire connaitre l’histoire de ces 600 soldats morts aux Pays-Bas sous le drapeau français entre mai 1940 et mai 1945. L’ambassadeur de France aux Pays-Bas en est le parrain d’honneur. Des donateurs se sont manifestés mais il faut concrétiser les financements pour l’achat du terrain pour y construire le nouveau centre commémoratif et mener à bien les travaux pour héberger toute la collection existante.

Être au service de ce projet du nouveau Mémorial pour garder la mémoire de ces soldats – dont les parachutistes tombés pendant l’opération Amherst (en Drenthe, le 7 avril 1945, 700 parachutistes français sautent des avions pour participer à la libération du Nord des Pays-Bas), c’est pour moi donner ma contribution au devoir de mémoire. Garder la mémoire de ces jeunes soldats de l’armée française tombés au champ d’honneur aux Pays-Bas pour s’opposer à la conquête des Pays-Bas par les troupes allemandes puis pour les libérer, c’est leur rendre hommage. Et la reconnaissance dont a bénéficié mon père dernièrement me motive beaucoup pour participer à faire advenir ce nouveau Centre commémoratif en leur hommage.

Le nom de mon père ADC Pierre Saivres (1926-2003), vétéran de trois guerres et parachutiste au 11e BPC, reconnu comme ayant opéré des actes importants dans le Triangle 15 des FFI près de Niort en août 1944, a été donné en avril 2021 pour parrainer la 347e promotion de l’École nationale des Sous-Officiers d’Active de Saint-Maixent l’École (voir la cérémonie). Il a aussi été donné à la section de l’Union nationale des parachutistes des Deux-Sèvres – UNP 79, fondée par Pierre Saivres qui en a été le premier président ; elle porte désormais le nom de UNP 79 Section Pierre-Saivres. Celle-ci a organisé en avril 2023, une commémoration pour le vingtième anniversaire de sa mort, associant la famille pour un bel hommage. Cette reconnaissance est fort émouvante pour ses enfants dont je suis l’aînée et je souhaite que d’autres héros bénéficient de la reconnaissance à laquelle ils peuvent prétendre. »

C’est le nouvel engagement de Catherine d’aider le groupe de bénévoles à faire advenir ce projet dans lequel Français et Néerlandais se retrouvent pour garder le souvenir et honorer la mémoire de ceux qui ont œuvré à sauver la liberté dans les années difficiles de la Seconde Guerre mondiale, ici sur le sol néerlandais défendu par l’armée française. Cet engagement s’ajoute à ses diverses activités de Française aux Pays-Bas qui contribue à construire la paix au plus près de la vie de tous les jours. Merci Catherine !

[1] Le NAP Normaal Amsterdams Peil est le niveau moyen de la mer à marée basse à Amsterdam. C’est le point de référence pour calculer l’altitude et le niveau de la mer en Europe.

Posted in Andries Looijen, Catherine van Vliet-Saivres, Commémoration, Entretien, Goeree-Overvlakkee, Mémoire, Memorial 40-45 Kapelle, Pierre saivres, Plan Delta, Quotidien, Religion, UNP 79.

4 Comments

  1. Merci encore pour le temps que vous m’avez consacré, Marie-Christine. Le résultat en est bien là, bravo pour cet article l’engagement d’une Française aux Pays-Bas 🙏🏻

    • Merci Catherine et Claude ! Je vois vos 2 messages seulement maintenant. Merci d’avoir lu l’article de Marie-Christine Kok-Escalle, bien à vous 🌻

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