Son art est de tisser une toile sur laquelle se projette l’imaginaire du spectateur…

Entretien avec Valentina Lacmanovic, artiste plurielle, créatrice et formatrice

Sur le site ouèbe de Valentina Lacmanovic, vous êtes accueilli par une belle photo de mouvement en rouge sur fond noir, une photo qui capte l’attention et qui intrigue. Cette photo de mouvement qui l’entraîne est symbolique de Valentina – car c’est bien elle qui tourne, au cœur de la spirale –, de sa vie, ses passions, ses choix. Valentina, philosophe, actrice de théâtre, artiste plurielle est créatrice d’art-performance, mouvement artistique contemporain, interdisciplinaire, indépendant, ébranlant les codes de la représentation classique. Sa pratique contestataire a une portée politique et elle met son expertise et sa créativité au service de l’éducation à l’art du cirque, le corps ayant une place centrale dans la pratique artistique, dans la tradition du Gutaï japonais (« faites ce que personne ne fait » voir)

Croate, Française, vous habitez à Amsterdam et travaillez entre autres à Tilburg. Vous êtes une femme, de transition et en transformation perpétuelle…

Valentina : « Née en ex-Yougoslavie et ayant grandi à Zagreb, capitale de la Croatie, c’est grâce à une bourse de théâtre pour le festival d’Avignon que j’ai pu laisser derrière moi la guerre, choisissant de rester en France. À l’époque, je parlais déjà très bien le français, j’avais des amis à Paris et j’ai choisi de partir, pour toujours. Cela n’a pas toujours été facile, cet état d’entre-deux, d’un pays qui n’existait plus et dans un pays où je devais trouver ma place, affirmer mon droit d’exister. J’ai eu confiance, je voulais non seulement survivre mais surtout avancer.

J’ai donc vécu à Paris où j’ai fait des études de théâtre et de philosophie. Aujourd’hui je vis à Amsterdam où je poursuis ma carrière artistique et travaille aussi à Tilburg, à l’académie du cirque et d’art-performance (Fontys Circus and Performance art). »

Étrangère en France, étrangère aux Pays-Bas, quelle est votre identité ?

Valentina : « Mon identité linguistique et culturelle est plurielle. Je suis comme un caméléon ; je suis étrangère partout et je m’adapte, m’appropriant ce qui m’est étrange et étranger. En plus de parler cinq langues couramment, je comprends le néerlandais, la langue du pays où j’habite mais je pratique peu … Ici l’on vit en anglais, la langue de mon compagnon.

À l’école primaire, j’ai grandi dans un bain de langues et cultures mélangées ; nous apprenions toutes les langues de la Fédération Yougoslave, y compris l’alphabet cyrillique.

Vivre à Paris fut un soulagement pour moi qui adore la langue et la littérature française. Je me suis très bien adaptée, travaillant dans le monde du théâtre et de la mode, collaborant avec Delphine-Charlotte Parmentier, grande créatrice de bijoux. J’ai eu la chance de me plonger dans l’univers de grands couturiers, tout en étant comédienne et danseuse. Fonctionnant en langue française, je pouvais laisser derrière moi les traumatismes hérités de la vie dans les Balkans.

©Amir-Grabus

Et puis je suis partie en Espagne, me consacrant à la danse, pensant échapper à la catégorisation dont, à Paris, j’étais l’objet – je suis étrange car étrangère. J’ai compris que je ne pouvais pas me limiter à rester dans un endroit pour poursuivre mes intérêts et mes recherches.

En 2008, invitée pour présenter une performance au musée van Gogh à Amsterdam, j’ai décidé de quitter l’Espagne qui baignait dans une crise économique. Continuant la pratique du théâtre, j’ai rencontré à Amsterdam mon compagnon et suis restée pour vivre dans ce nouveau pays. J’y suis donc depuis plus de quinze ans et y vis en relation avec la France, la Croatie et bien d’autre pays. Je me déplace là où mes créations m’emmènent. »

Aujourd’hui vous travaillez à aider le cirque contemporain à se redéfinir, dans le cadre de l’académie des arts de Tilburg

Valentina : « C’est un travail très intéressant. Je participe au programme de formation d’artistes de cirque et d’art-performance en matière de recherche et de projets tant individuel que de groupe. J’y apporte mon expertise dans les arts de la scène et les arts visuels pour améliorer la qualité artistique de la formation avec une réflexion sur le corps comme outil d’expression dans une temporalité et une spatialité particulière qui est celle du cirque.

Je travaille avec de nombreux étudiants internationaux dont beaucoup de francophones qui à chaque niveau d’étude réalisent des projets individuels en tant que créateurs et participent aux créations de groupe que je les aide à mettre en place.

Cette réflexion sur l’art-performance (voir jusqu’au 14 juillet 2024 au Stedelijk Museum d’Amsterdam la rétrospective de Marina Abramovic) conduit à conceptualiser le cirque en introduisant une recherche et une expérimentation visant un traitement nouveau des disciplines circassiennes, de l’espace et du temps, causant une relation nouvelle avec le spectateur. Le corps, dans le cirque comme dans l’art performance, devient l’outil de défi des limites. »

Marina Abramovic et son compagnon Ulay sont des figures iconiques de cet art-performance qu’il est si difficile de définir (voir).

©Natlia-Regueiro

Revenons à cette photo du mouvement giratoire qui introduit à votre site ouèbe, à votre vie et à votre travail tant de créatrice que de formatrice…

Valentina : « La danse giratoire est foncièrement humaine ; elle est présente dans les danses rituelles, le folklore et les rites de possession, de par le monde. À travers mes recherches transculturelles, je me suis appropriée ce mouvement spiralé ainsi que d’autres mouvements provoquant des états liminaux et de transe pour ritualiser mes performances. Dans ce moment de création artistique, un moment puissant, je disparais et laisse le mouvement canaliser ce qui se passe entre l’imaginaire de l’artiste et la conscience du spectateur qui perçoit. Pendant la performance, il se produit un accordage, un changement collectif de perception et de conscience.

Valentina Lacmanovic dans WITH-IN©Erin-Mckinney

C’est une histoire momentanée qui est créée, dans un don et un contre don.

Dans un parcours de nomade, je me transforme et à l’écoute de la matérialité des sens, j’incorpore des idées et des visions, au moyen du corps et créant un environnement qui permet d’accueillir les émotions. »

Votre enseignement est riche de votre expérience si riche dans la création artistique interdisciplinaire dont vous faites une pratique qui éveille les sens. C’est un travail en interaction dans lequel vous suscitez chez l’étudiant, artiste en devenir, le questionnement sur la personne et sur la société, sur l’héritage des pratiques artistiques et sa justification.

Merci, Valentina, pour cet échange très inspirant et stimulant pour développer un autre regard de la création artistique contemporaine.

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