Le 13 janvier 2024, j’étais invitée à Eindhoven pour tirer la galette des rois avec ‘les Francofilous’ et écouter les vœux des responsables de cette association FLAM (français langue maternelle). J’y ai retrouvé Rizvi Rahman, papa de jeunes ‘francofilous’, avec qui je me suis ensuite entretenue.
- Vos deux enfants se rendent le samedi matin dans cette école élémentaire Salto à Eindhoven qui accueille des enfants francophones scolarisés en milieu non francophone, dans une école néerlandaise ou internationale. Pendant deux heures (une heure pour les plus petits) quatre animateurs/animatrices y proposent aux enfants de quatre à douze ans des activités en français. Si vous habitiez à La Haye ou Amsterdam, choisiriez-vous une organisation comparable ?
Rizvi Rahman : « Je sais qu’il existe des écoles françaises dans la capitale et à La Haye, mais nous choisirions plutôt une école bilingue français-néerlandais, ce serait pour nous la meilleure option ; nos enfants parlent anglais (70%) et français (30%) à la maison, je leur lis des histoires en français tous les soirs avant le coucher. À Eindhoven, nous avions mis nos enfants dans une école bilingue anglais-néerlandais, mais très vite nous nous sommes rendu compte que d’une part leur niveau d’anglais (de notre ainé en tout cas) était bien meilleur que ce qui était proposé à l’école et que d’autre part leur apprentissage du néerlandais laissait à désirer, le résultat étant une faiblesse dans l’acquisition des deux langues. Ils sont donc maintenant dans une école néerlandaise que fréquentent aussi d’autres enfants francophones ; avec ceux-ci ils parlent anglais entre eux ! Il leur faut donc un lieu où pratiquer le français en complément de l’usage familial, c’est ce que nous avons trouvé avec ‘les Francofilous’. »
- Vivre dans un pays d’adoption comme vous le faites aux Pays-Bas, scolarisant vos enfants dans une langue autre que celle des parents, est-ce un choix délibéré ? difficile ?
Rizvi : « Mes parents sont Bengali, comme ceux de mon épouse. Les parents de mon épouse sont en Écosse, les miens sont en France où ils ont obtenu, il y a un peu plus de quarante ans, l’asile politique après un passage par l’Angleterre et l’Allemagne. Ils ne connaissaient ni la France ni le français et il y avait alors très peu de Bengali en France. J’ai donc grandi et ai suivi ma scolarité en France, y ai fait des études supérieures avant de compléter mes études et faire de la recherche aux États-Unis et en Angleterre.
Je suis venu aux Pays-Bas et mon épouse m’y a suivi, recruté depuis Oxford où je finissais ma thèse de doctorat, pour travailler à Eindhoven dans une entreprise d’excellence dans un secteur de pointe et qui depuis a connu une très forte croissance . Je ne connaissais ni les Pays-Bas ni le néerlandais.
Nos enfants nés en Corée du Sud, lors d’une mission de quelques années pour développer cette entreprise dans ce pays, vivent dans un plurilinguisme encore plus important que celui de mon enfance et de ma formation scientifique. La langue de leurs grands-parents et de la famille est le bengali avec lequel ils ont une pratique passive ; l’anglais et le français sont les langues courantes de la vie familiale, le néerlandais est la langue de l’école et de l’apprentissage des matières fondamentales. En outre notre ainé parlait coréen à deux ans, il a donc une ouverture toute particulière au monde des sons et musique des langues et, toutes proportions gardées pour son âge, aux pratiques culturelles qui y sont liées. Cet enrichissement que représente la capacité à comprendre l’autre dans une grande partie du monde et de développer des sentiments ‘d’amour’ envers lui comme on peut en recevoir de lui, est, pour moi, la clé de la paix. »
- Oui, faire advenir la paix commence dans une relation bienveillante et ouverte à l’autre, celui qui est tout proche, semblable ou différent, celui qu’on apprend à connaitre, l’autre qui est l’autre pour moi comme moi je suis l’autre pour lui. Et le français dans tout ça ?
Rizvi : « La langue est associée à des sentiments que l’on a pour le pays et les gens qui la parlent. Si nous n’avons pas maintenu entre nous la langue de nos parents, nous leur confions la tâche de transmettre à nos enfants le patrimoine culturel commun, la langue et la culture bengali.
Vivre aux Pays-Bas est pour les enfants un vrai bonheur car ils y vivent une vraie enfance, avec le confort linguistique que représente la pratique de l’anglais et nous ne sommes pas loin de l’Écosse et de la France. Le développement de la pratique du français est d’autant plus important que l’anglais domine partout. C’est ce que leur apporte les activités ludiques du samedi animées par ‘les Francofilous’.
Nos enfants expérimentent lors de nos séjours en France, dans la famille ou tout simplement en vacances la richesse que leur apporte la possibilité d’échanger en langue française, de comprendre ce qu’ils voient, d’être connectés à un monde différent de ce qu’ils vivent au quotidien. Leur capital culturel grandit au fur et à mesure des ‘samedi Francofilous’, dans l’acquisition des connaissances et dans l’interaction avec les autres enfants avec qui ils partagent la particularité d’être étranger d’une certaine manière. »
Merci Rizvi pour ce partage.
Souhaitons que la structure ‘Francofilous’ perdure grâce à l’engagement de nombreux bénévoles et à la demande de familles francophones et que cette structure se développe de plus en plus partout dans le monde. C’est l’objet de la Fédération FLAM-Monde.